Nicolas-Victor Duquénelle (1807-1883) est un antiquaire rémois du XIXe siècle. Cet exemplaire, extrait du mémoire de Romain Jeangirard soutenu en 2010, présente l'antiquaire au XIXe siècle, entre tradition et modernité. D'autres suivront et seront publiés sur le blog consacré : nicolas-victor.duquenelle.over-blog.com
1. UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE
U.F.R Lettres et Sciences Humaines
Master « Sociétés, Espaces, Temps »
Mention « Histoire de l’art »
Spécialité « Histoire de l’art et de la culture »
Année universitaire 2009-2010
MEMOIRE DE MASTER II
présenté par
Romain JEANGIRARD
le 23 juin 2010
NICOLAS-VICTOR DUQUENELLE
OU L’ANTIQUAIRE ACCOMPLI
(1842-1883)
Sous la direction de :
Madame Marie-Claude Genet-Delacroix (Université de Reims)
Madame Frédérique Desbuissons (Université de Reims)
3. V. LA PARTICIPATION AUX MANIFESTATIONS
SAVANTES
La participation aux manifestations savantes offre à l’antiquaire une autre pratique de la sociabilité
érudite et de distinction élitiste. Leur organisation témoigne de la très forte articulation entre les
échelons nationaux et locaux.
Une pratique congressiste des sciences émerge en France au XIXe siècle. L’académisme
traditionnel s’adapte en effet au siècle industriel et met en place des conférences et des échanges
culturels 398. Nicolas-Victor Duquénelle participe aux sessions du congrès scientifique en 1845 et
des congrès archéologiques en 1855 et 1861, qui prennent tous place sur le territoire marnais, à
Reims ou à Châlons-sur-Marne.
L’exposition rétrospective de Reims en 1876 et l’exposition universelle de Paris en 1867, dont
l’antiquaire est un acteur d’importance variable, signent aussi la modernité formelle du XIXe siècle.
Le congrès scientifique et les congrès archéologiques
Ces congrès témoignent d’une pratique scientifique congressiste et de l’association
du local et du national, ou du local dans le national. Ils signent en effet le temps de la reconquista
provinciale et de la décentralisation intellectuelle, que Françoise Bercé explique par la reprise
symbolique des terres d’Ancien régime par les notabilités. Arcisse de Caumont organise des
réunions sur des bases nationales et des expériences provinciales pour mobiliser les esprits et les
municipalités, parfois en proie à des conflits avec les sociétés académiques concernant la
conservation du patrimoine. Toutes ces initiatives, ainsi, accroissent le dynamisme provincial mais
soulignent cependant la contradiction entre jacobinisme et provincialisme 399.
En 1845, se tient la treizième session annuelle du congrès scientifique de France, initié en
1833. Selon la circulaire de la commission d’organisation, il s’agit de « réunions solennelles d’un
grand nombre de notabilités scientifiques nationales et étrangères » qui « introduisent l’esprit
d’association et de confraternité dans le domaine de l’intelligence, et constituent en une véritable
398
LEMERCIER, Jean-Pierre, « Les académies de province ». In : FUMAROLI, Marc, BROGLIE (de), Gabriel,
CHALINE, Jean-Pierre (dir.), Op.cit, 2003, p. 53.
399
BERCE, Françoise, « Arcisse de Caumont et les sociétés savantes ». In : NORA, Pierre (dir.), Op.cit, 1997, p. 1546-
1559.
95
4. famille tous ceux qui ont voué leur vie au développement des connaissances humaines » 400. La
commission d’organisation, dans la rédaction de cette circulaire, esquisse une fraternité du savoir,
c'est-à-dire la réunion de savants qui deviennent frères par l’appartenance à une même
communauté qu’est la famille scientifique. La pratique congressiste illustre dans une certaine
mesure cette notion, par l’accumulation des individualités dans un dessein collectif commun.
Chaque année, une ville différente accueille le congrès. Le congrès scientifique de France, en 1845,
est accueilli à Reims, et est ouvert du premier septembre à midi au dix septembre. Cette pratique
témoigne de la corrélation entre l’échelon national et l’échelon local. Le choix de la plus grande
ville champenoise a été déterminé par son intérêt historique. La commission d’organisation, qui
associe les figures nationales comme Arcisse de Caumont et les érudits locaux comme Etienne
Saubinet, rappelle à cet effet que Reims fût municipe romain, métropole de la seconde Belgique ;
eût un rôle dans l’acculturation romaine et dans la construction de la nation française ; renferme,
enfin, une abondance dans les traces antiques, chrétiennes et païennes du sol.
Le congrès est assuré de l’appui financier de la municipalité. En outre, cette subvention est due aux
démarches du président et du secrétaire général de l’Académie de Reims, mais ne couvre qu’une
partie des dépenses. Par ailleurs, selon un membre de l’Académie, cet événement souffre de
notoriété du point de vue de la municipalité et de l’opinion publique, qu’il conviendra, reprenant sa
déclaration, d’éclairer 401. Eve Gran-Aymerich souligne en effet le sentiment d’indifférence que
suscite l’archéologie auprès des publics à la moitié du XIXe siècle 402. Le congrès associe les savants
champenois, d’une part dans la commission d’organisation, d’autre part dans l’animation des
sections du congrès, réunies par discipline. Cette évocation, pour autant, les distingue clairement
des notabilités scientifiques nationales et établit une hiérarchie de la science. Tout au plus, les
savants régionaux sont ainsi habilités à éclairer l’assemblée générale ou l’assemblée des sections
sur le cas rémois.
Le règlement de la manifestation savante exige l’inscription de ses membres par sections. Ainsi,
bien que pluridisciplinaire, le congrès distingue ses travaux en différentes sections, dont la
quatrième section, d’histoire et d’archéologie, à laquelle s’inscrit l’antiquaire rémois.
La section archéologique, quotidiennement, se réunit en deux temps : le matin de sept heures à neuf
heures du matin en commission de travaux et de questions préparées, l’après-midi en assemblée
générale de section à quinze heures, qui donne lieu à la lecture des mémoires et des
communications. Vingt-cinq questions sont proposées par les congressistes, puis soumises à la
400
« Circulaire de la commission d’organisation ». In : Congrès scientifique de France, 1846, p. XIII.
401
« Séance du 7 février 1845. – Nomenclature des questions proposées au comité chargé d'organiser le congrès
scientifique ». Séances et travaux de l'Académie de Reims, 5 juillet 1844-7 mars 1845, vol. 1, p. 359.
402
GRAN-AYMERICH, Eve, Op.cit, 2007, p. 48.
96
5. section historique et archéologique 403. Ce travail, pour l’Académie de Reims, a été réalisé en amont
par ses membres 404. Ainsi, diverses questions ont été envoyées à la commission d’organisation du
congrès dès le mois de février, alors que la session plénière intervient en septembre, soit sept mois
plus tard.
La démarche formelle de l’antiquaire, ainsi, est énoncée. Participant du congrès, il n’en est
cependant qu’un acteur secondaire. La motivation de sa participation se trouve dans le choix de la
réunion congressiste de siéger à Reims. Sa présence n’illustre en aucun cas une notabilité
scientifique. Si la commission d’organisation du congrès scientifique reconnaît le rôle important des
savants champenoises, il n’en est cependant que moindre. Il réside davantage dans l’éclairage local
et dans la médiation entre les échelons nationaux et locaux. Par ailleurs, Nicolas-Victor Duquénelle
doit sa présence, dans une réunion annuelle de six-cent membres, à un cadre qui dépasse son
individualité. L’association au congrès, en effet, est davantage le fait d’une institution dynamique
implantée sur le territoire rémois qu’est l’Académie de Reims.
La démarche de fond, pour l’antiquaire, vise à une promotion de ses travaux mais aussi de son zèle
archéologique, tel qu’il le présentera dix ans plus tard, en 1855, dans sa lettre à Adrien de
Longpérier 405. Dans le compte-rendu de la séance de section archéologique du 5 septembre 1845, il
est fait état de l’offre au congrès scientifique par l’antiquaire rémois de trois de ses opuscules que
sont la « note sur un denier inédit de Massanès Ier, archevêque de Reims », le catalogue de
médailles romaines, argent et billon, trouvées à Reims en novembre 1843 et la « nomenclature
d’objets d’antiquités récemment découverts à Reims » 406. Ces travaux, tous publiés entre 1843 et
1845, doivent être pour l’antiquaire et devant le congrès, les preuves d’appui du sérieux de sa
démarche, de son effort d’édition pour contribuer à la recherche archéologique et à son actualité
locale.
La contribution de l’antiquaire à la section archéologique du congrès scientifique se définit par une
prise de parole conjointe avec Joseph-Louis Lucas sur la neuvième question historique et
archéologique posée, intitulée : « Quelles nouvelles lumières les médailles antiques découvertes en
Champagne ont-elles jetées sur l’histoire de cette province ? » 407. En séance de section du 9
septembre, le compte-rendu de correspondance fait mention d’une lettre de l’antiquaire Nicolas-
Victor Duquénelle, sollicitant le congrès scientifique pour que « les plans du futur tombeau de
Saint-Remi soient communiquées à la section d’archéologie », demande à laquelle l’architecte
403
Art.cit., 1846, p. XIII-XXXVI.
404
Art.cit., 5 juillet 1844-7 mars 1845, p. 360.
405
Voir p.66
406
« Séance du 5 septembre 1845 », art.cit, 1846, p. 287-288.
407
« Séance du 2 septembre 1845 », ibid., p. 271.
97
6. Narcisse Brunette consent 408. Cette démarche suscite une interrogation sur la présence effective de
l’antiquaire à toutes les sessions archéologiques du congrès. Elle souligne son auto-gratification par
l’attribution d’un rôle d’alerte aux citoyens de la science et un éventuel affrontement avec
l’architecte. Cette démarche et ce questionnement, surtout, illustrent d’une part la collaboration en
amont de deux antiquaires appartenant à la société académique, confirmant ainsi la prééminence de
l’association institutionnelle plutôt que celle de la démarche individuelle ; et d’autre part, d’une
participation se limitant à des travaux à l’échelle locale.
Dans cette même perspective locale, une commission composée de Charles Dufour, de Joseph-
Louis Lucas, de Monsieur Boilleau et de Nicolas-Victor-Duquénelle, est mandatée par la section
archéologique du congrès en date du 9 septembre pour l’examen du mémoire d’un congressiste,
Monsieur Liénard, sur les médailles celtiques rémoises. L’antiquaire Duquénelle prend la parole
devant la section pour en présenter les conclusions le 10 septembre 1845, soulignant l’hypothétique
système de classification opéré par l’auteur du mémoire 409. Bien qu’associé à une démarche
quadripartite, l’antiquaire semble apporter un jugement qualitatif sur le travail présenté, et se
présenter ainsi comme un antiquaire véritable, en situation d’évaluer ses pairs.
On peut sans peine imaginer un intéressement de l’antiquaire à une participation formelle et une
participation de fond à ces travaux. Le congrès scientifique de France, en 1845, associe des
notabilités scientifiques et des figures de l’archéologie nationale. Duquénelle est présent en séance
de section du 8 septembre, ainsi que le vice-président du congrès Arcisse de Caumont. Alors qu’une
discussion intervient sur la dixième question du programme ainsi définie : « En quoi consiste le titre
des défenseurs de villes donné aux évêques du moyen-âge ? », et qu’un questionnement établit des
doutes et des divergences de points de vue sur une pièce de monnaie d’Eudes, comte de Paris ;
l’antiquaire Duquénelle, en possession de cette pièce, promet de la présenter lors de la prochaine
section 410. La démarche intéressée de l’antiquaire réside dans le cérémonial, commun au XIXe, de
la présentation. Son discours décomplexé sur les antiquaires et sur ses méthodes, et sa position au
sein de la sociabilité savante sont autant d’éléments qui illustrent un besoin de reconnaissance et
l’affichage d’une ambition et d’une volonté d’assimilation ou d’association auprès des élites
scientifiques. Son interpellation semble toutefois avoir été entendue, du moins partiellement. Six
mois après la tenue du congrès scientifique, il est reçu à la Société française pour la conservation et
la description des monuments historiques, pourtant existante depuis plus d’une décennie sous
l’égide d’Arcisse de Caumont.
408
« Séance du 9 septembre 1845 », ibid., p. 316-317.
409
Art.cit, 1846, p. 318. ; « Séance du 10 septembre 1845 », ibid., p. 328.
410
« Séance du 8 septembre 1845 », ibid., p. 301-306.
98
7. Les congrès archéologiques de 1855 à Châlons-sur-Marne et de 1861 à Reims témoignent de
cette pratique congressiste, de la motivation de l’antiquaire à participer à un collectif qui intègre le
local dans le national et qui se réunit dans les environs de sa localité. Ces deux manifestations
savantes, cependant, intègrent une autre dimension que le congrès scientifique qu’est la spécificité
disciplinaire.
On note une participation plus active de l’antiquaire, due à l’organisation du congrès par la société
française pour la conservation des monuments historiques dont Nicolas-Victor Duquénelle est
membre depuis 1846. En cette qualité, il est membre titulaire du Congrès. Dans la séance du 24
mai 411, il y présente un mémoire qui répond à la quatrième question du programme, sur les
découvertes de monnaies romaines, en 1846 à Villedomange, en 1848 à Sillery et en 1849 à Boult-
sur-Suippes pour les communes alentour, et de 1843 à 1855 à Reims. Après avoir décrit ces
acquisitions, l’antiquaire s’appuie sur les découvertes antérieures à son activité, entre 1823 et 1831.
Puis Nicolas-Victor Duquénelle en tire les enseignements sur la situation spatiale, déjà admise, de
Reims à l’époque gallo-romaine, dans le prolongement de l’exposé de sa méthode.
Nicolas-Victor Duquénelle porte également un message. Il souhaite qu’une allocation soit accordée
pour l’exécution de fouilles à Damery. Ce vœu est envoyé à la commission. L’antiquaire adopte une
posture de défenseur local de l’archéologie. Il souhaite également, dans un cadre plus large que
l’institution et le territoire de la localité, soumettre ses craintes et ses propositions, afin que ces
dernières aient un écho supérieur.
Ainsi, le congrès archéologique de 1855, tout comme le congrès scientifique de 1845, est pour
l’antiquaire un outil de sociabilité et de distinction. L’abbé Cochet, dans son ouvrage Sépultures
gauloises, romaines, franques et normandes faisant suite à « la Normandie souterraine », présente
les travaux de Duquénelle, qu’il qualifie de « zélé collecteur », devant le congrès archéologique de
1855. L’antiquaire y lit une note sur les découvertes de numismatique romaine à Reims et dans les
environs 412. Au-delà de la gratification individuelle, la participation au congrès est aussi un outil de
promotion collective, qui exalte le dynamisme d’une ville et de son tissu associatif et l’affirme dans
le cadre régional ; et ce d’autant plus pour la jeune société académique de Reims créée en 1841 qui,
contrairement à l’académisme châlonnais, n’a pas hérité de la tradition prérévolutionnaire, et qui de
fait souffre davantage de notoriété. Face à ce déficit handicapant, la participation de ses membres ne
peut qu’accentuer sa légitimité et son utilité régionale et peut être perçue comme un gage de sérieux
et de compétences. L’abbé Tourneur, secrétaire général du congrès et membre de l’Académie de
411
TOURNEUR, Victor (abbé), « Deuxième séance du 24 mai », op.cit, 1856, p. 94-100.
412
COCHET, Jean-Benoît-Désiré (abbé), Sépultures gauloises, romaines, franques et normandes, faisant suite à « la
Normandie souterraine ». Paris : E. Derache, 1857, p. 429.
99
8. Reims, en est le rapporteur. Il évoque dans le compte-rendu qu’il en fait devant la société
académique l’activisme de Nicolas-Victor Duquénelle et de Narcisse Brunette, qui n’ont laissé
« aucune question sans réponse » 413. La participation au congrès archéologique, en 1855, est enfin
un outil de publicité locale et de remontée des territoires, par la soumission devant le congrès de
vœux, de craintes ou de plaintes.
Ces particularités s’observent lors du congrès archéologique de 1861. L’antiquaire Duquénelle,
dans une posture de citoyen de l’archéologie, alerte le congrès archéologique lors de sa session
rémoise de 1861 sur les risques d’altération de la porte Mars et présente l’intérêt de sa préservation,
par la lecture d’un mémoire soumis au vote et qui, en concurrence avec le mémoire de Charles
Loriquet, est approuvé. Cette posture se justifie au sens où le congrès est organisé par la Société
française de description et de conservation des monuments historiques, devenue en 1857 la Société
française d’archéologie. Dans cette même communication, l’antiquaire propose d’adresser une
demande au comité des monuments historiques afin de décharger la mairie 414. Outre cette prise de
position, l’antiquaire participe aux travaux et à la discussion sur les trois questions soumises au
congrès que sont la distribution des constructions romaines sur une carte, la destruction des édifices
gallo-romains et la topographie rémoise sous la domination romaine 415. Sur une de ces questions, et
l’architecte Brunette et l’antiquaire Duquénelle ou l’historien Loriquet s’affrontent sur les incendies
de Reims, qu’ils fixent respectivement aux IIe et Ve siècles après Jésus-Christ. Dans le même
registre de présentation de l’actualité locale, Nicolas-Victor Duquénelle présente et décrit les
antiquités découvertes à Reims, particulièrement celles qui présentent un intérêt 416. L’antiquaire
s’inscrit ainsi dans sa démarche habituelle de démonstration et de justification du zèle
archéologique.
D’autres espaces de sociabilité savante que les congrès existent et marquent le XIXe siècle :
les expositions. Elles intègrent pour Nicolas-Victor Duquénelle, comme dans la pratique
congressiste, une dimension locale et nationale. Ainsi, la partie qui suit est-elle énoncée non dans
une configuration chronologique mais dans une configuration spatiale, initiée par l’échelon local et
aboutie par l’échelon national.
413
TOURNEUR, Victor (abbé), « Rapport sur les travaux de l’Académie. – Année 1854-1855 ». Travaux de
l’Académie impériale de Reims, 1854-1855, vol. 22, n° 1-2, p. 154-172.
414
Congrès archéologique, séances générales tenues à Reims, à L’Aigle, à Dives et à Bordeaux en 1861, 1862, p. 23.
415
Ibid., p. 11.
416
Ibid., p. 74.
100
9. L’exposition à l’œuvre : rétrospection locale et universel parisien
On assiste au XIXe siècle à un élargissement de l’espace public. L’exposition
rétrospective, temporaire, rentre dans la même logique que celle de l’exposition universelle ou
même du musée.
L’exposition rétrospective de Reims, en 1876, ouvre ses portes du 24 avril au 19 juin.
L’exposition rétrospective rémoise est organisée par la commission archéologique à l’occasion du
concours régional installé à Reims et prévu en mai. L’objectif est de « faire connaître et apprécier
les collections particulières et les richesses artistiques de Reims et des départements voisins ».
L’intention, clairement dévoilée, est l’appropriation temporaire de la propriété privée dans le
domaine public. Le rôle de Nicolas-Victor Duquénelle au sein de l’exposition rétrospective est
double, car l’antiquaire est à la fois membre de la commission d’archéologie et du bureau
d’organisation de l’exposition, et l’un des prêteurs des objets d’art et curieux qui composent cette
manifestation culturelle.
La commission archéologique est le maître d’ouvrage de cette exposition, et est sous l’égide du
maire de Reims, Louis-Victor Diancourt. L’antiquaire fait partie des dix-huit membres de cette
commission, notamment autour de l’abbé Cerf, de l’ancien maire de Reims Jean-Simon Dauphinot,
de Charles Loriquet ou d’Alfred Werlé, fils d’Edouard, maire de Reims de 1852 à 1868. La
coordination effective, ainsi, est confiée à la notabilité administrative, ecclésiastique et érudite de la
ville.
L’archevêque de Reims met à disposition la grande salle et les salons de l’archevêché. Il existe une
corrélation évidente entre l’archevêché et la société académique de Reims, dont l’initiative de la
commission archéologique lui revient. Le fondateur de l’Académie de Reims est d’ailleurs le
cardinal-archevêque Gousset. La commission, en outre, rédige le règlement, décliné en douze
articles et signé par le Président-maire Diancourt. Son effectivité est menée à bien par le bureau
d’organisation, interlocuteur privilégié pour les prêts et médiateur de fait entre la commission et la
municipalité et les particuliers.
La municipalité, maitre d’œuvre, affirme ainsi sa prééminence dans la coordination de l’événement.
Cette administration s’est engagée pour l’organisation de cette exposition. Réuni en séance, le
conseil municipal est sollicité par le maire en date du 17 février 1876 pour l’affectation de frais à
l’organisation de l’exposition 417, d’un montant de six cents francs, rattachée au budget pour les fêtes
publiques. Cette sollicitation est adoptée. Le même jour, le conseil est prié d’adopter une
417
A.M.C.R., 1D 32 : Séance du 17 février 1876. Frais d’organisation du Concours musical, de la Fête fédérale de
gymnastique, de l’Exposition rétrospective et des Fêtes publiques qui auront lieu à la même époque.
101
10. délibération 418 approuvant la prise en charge par la municipalité de la construction de vitrines
destinées à l’exposition temporaire puis au nouveau musée définitif de l’Hôtel de ville. Dans cette
dernière délibération, le maire rappelle le patronage de la ville pour l’organisation de cette
exposition, et qu’elle en assume les frais. D’après le règlement de l’exposition rétrospective 419, les
frais d’emballage et de transport des objets sont à la charge de la ville de Reims ; de même que
l’objet, s’il n’est assuré par le particulier, l’est sous le régime de la police municipale durant
l’exposition. Cet engagement de la municipalité pour l’exposition rétrospective s’explique sur
divers points. En premier lieu, cette manifestation fait partie d’une stratégie globale puisqu’elle est
organisée parallèlement à des événements tels le concours musical, la fête fédérale de gymnastique
et d’autres fêtes publiques, qui doivent montrer le dynamisme rémois ; et en particulier dans l’aire
régionale, puisqu’il existe une concurrence évidente avec la ville de Châlons-sur-Marne qui est le
chef-lieu du département de la Marne alors que la ville de Reims recense une population et une
densité plus importantes. En second lieu, cette implication municipale est peut-être due au
déterminisme individuel du maire Diancourt, amateur d’art et bibliophile. Enfin, outre son
programme culturel, cette exposition a également un programme social hérité de l’idéal
révolutionnaire d’élévation de l’esprit citoyen et d’accès au Beau. Louis-Victor Diancourt, de la
gauche républicaine, redevient maire de Reims en décembre 1874, après un intermède royaliste de
dix mois à la tête de l’exécutif municipal en la personne de Henri Paris. Cette exposition, patronnée
dès le début de l’année 1876, pourrait être une manière de célébrer le retour au pouvoir de la
république municipale. La res publica signifie la chose publique. L’exposition rétrospective de
Reims est ouverte de dix heures à dix-sept heures, ce qui signifie qu’elle est inaccessible aux
travailleurs. Cependant, le dimanche est reconnu comme jour chômé dans la loi depuis 1814. Pour
cette raison sans doute, le prix d’entrée est réduit de moitié ce jour, à cinquante centimes. Cette
incitation à la visite par un tarif préférentiel traduit une vision du temps libre : outre le repos, le
citoyen peut également s’enrichir culturellement. Ce dispositif a cependant ses limites : cette
exposition, sans doute, est avant tout celle des notables, du moins pour le temps de la semaine.
Parallèlement au mi-tarif du dimanche, une carte individuelle d’abonnement pour la durée de
l’exposition est proposée au tarif de dix francs. La rentabilité de cet abonnement profite ainsi à ceux
qui ont un temps libre supérieur aux autres 420.
L’antiquaire, surtout, fait partie du bureau d’organisation de l’exposition en qualité de vice-
président, aux côtés de deux présidents d’honneur, le maire et l’archevêque, du président Dauphinot
418
A.M.C.R., 1D 32 : Séance du 17 février 1876. Construction de vitrines pour le nouveau musée de l’Hôtel de ville ;
Annexe 8.
419
« Règlement », op.cit, 1876, p. 9-11.
420
« Avis », ibid., p. 4.
102
11. et de huit autres membres 421. Outre sa mission programmatique du 15 février, date-butoir d’envoi
des objets, au 24 avril, jour d’ouverture de l’exposition, le bureau est chargé de réunir les tableaux
d’artistes décédés et les objets d’art et de curiosité de Reims et des départements voisins, prêtés par
les particuliers. Il est habilité à réemballer les objets exposés après l’exposition, pour les retourner
en bon état de conservation à leurs propriétaires. Le bureau d’organisation est également chargé de
l’étiquetage des objets confiés, de la garde de clés des objets précieux mis sous vitrine 422.
Dans cette perspective, et attendu que la valeur estimative des objets est signalée par le prêteur au
bureau d’organisation, il est probable que le bureau ait également été chargé de la nomenclature des
objets et donc de la constitution du catalogue.
L’antiquaire, outre les responsabilités qui lui sont attribuées pour l’organisation de cette
manifestation culturelle, est également l’un des prêteurs d’objets d’art et curieux. La chronologie
admise étant des temps les plus reculés au XVIIIe siècle, Nicolas-Victor Duquénelle participe à la
matérialisation de l’exposition. Ces objets sont présentés en vingt-huit numéros d’inventaire –
numéros 582 à 612 –, mais on en dénombre en réalité des centaines. La collection qu’il présente
comprend des objets religieux : quatre émaux, dont deux réalisés par Baptiste Nouailher, de
Limoges, au XVIIIe siècle, et figurant Saint François-Xavier et le Bienheureux Vincent de Paul. Il
présente également des objets utilitaires, tels des plats attribués à Bernard Palissy, verrier, peintre et
potier du XVIe siècle ; ou des objets plus fantaisistes, comme une râpe à tabac en émail ou une
tabatière écaille du XVIIIe siècle.
Les objets antiques, évidemment, sont prépondérants dans le prêt de l’antiquaire. On recense des
pierres sculptées, avec la divinité tricéphale d’époque gauloise, et deux statuettes figurant
l’abondance ; six cartons de monnaies impériales et consulaires en or, argent et bronze ; des objets
utilitaires comme des cuillères en argent et en bronze, des épingles à cheveux, des objets de toilette
en argent, et une centaine de vases dont certains présentent les noms de potiers, des légendes et
emblèmes ; des objets curieux comme une partie du bagage oculiste comprenant cachets, tablettes,
collyres, pinces à épiler et compas caducé. Outre la collection numismatique, très importante, une
partie du catalogue se concentre sur la céramique – numéros 609 à 612 –. Ainsi, la présentation
normative des objets, dans le cas des propriétés de l’antiquaire, est ordonnée 423.
Si l’engagement de l’antiquaire pour cette exposition rétrospective est double, son intérêt l’est aussi.
En qualité de co-organisateur éminent au regard de son titre, Nicolas-Victor Duquénelle a le
sentiment de participer à un dessein d’importance. Il répond au profil de ces notables français du
421
Ibid., p. 7-8.
422
« Règlement », ibid., p. 9-11.
423
Ibid., p. 49-52.
103
12. XIXe siècle, particulièrement sous le second Empire mais aussi dans les débuts de la IIIe
République, énoncé par Jean-Claude Yon, individualiste. Les bourgeois, en effet, sont persuadés
d’avoir un rôle à jouer dans la société, et de ce fait, un rang à tenir. Ils ont, selon Jean-Claude Yon,
le sentiment d’avoir des responsabilités à remplir, le désir de réaliser une œuvre, la valorisation de
l’effort et de la volonté » 424. Par cette participation, l’antiquaire se distingue dans la cité, par
l’accomplissement d’une œuvre collective entendue comme la superposition de compétences
individuelles. Surtout, il a le sentiment de participer à la vitalité du tissu urbain rémois.
Les congrès, scientifique et archéologiques, permettent à Nicolas-Victor Duquénelle de présenter
ses travaux, ses découvertes et ses méthodes et de prendre place parmi les notabilités intellectuelles.
La participation à l’exposition rétrospective par le prêt d’objets répond à la même démarche, avec
cependant un fond et une forme différents. Par cette manifestation, l’antiquaire présente non plus
ses discours mais une partie de sa collection. Ce prêt, tel que présenté dans le catalogue
d’exposition, est conséquent. Le but premier est de faire connaître sa collection. La présence de la
collection Duquénelle dans un espace temporaire public lui permet de jouir d’une notabilité locale
qui se concrétise par la vue des objets ; et son importance doit lui permettre d’en faire une figure
incontournable de la recherche archéologique rémoise. L’antiquaire, d’ailleurs, perçoit le prêt
temporaire de ces objets exposés dans des vitrines comme une collection dans sa collection. Une
partie de son catalogue manuscrit est consacrée aux objets prêtés lors de l’exposition. L’antiquaire
accompagne les iconographies photographiées de légendes et de notices de description,
manuscrites 425. Bien que temporaire, on assiste donc à un transfert de la collection privée vers la
collection publique. La participation de Nicolas-Victor Duquénelle à l’exposition rétrospective,
même si elle est sincère, est intéressée, et fait partie de sa démarche globale pour recevoir une
reconnaissance prestigieuse et une notabilité savante. Les objets, en représentation publique,
assurent l’antiquaire d’une notoriété. Ce prêt permet à l’antiquaire, comme les autres
collectionneurs, de montrer l’importance de la collection privée. L’exposition rétrospective, en
effet, recense les pièces archéologiques des collections privées mais aussi les collections muséales.
L’addition des collections publiques et privées présente son intérêt et sa complémentarité par
l’exposition temporaire.
La collection est, pour l’antiquaire, un outil de promotion. A propos de la prestation de l’antiquaire
à l’exposition, Jules de Laurière adopte dans le Bulletin monumental une critique positive et évoque
le bon choix, le bon goût et la variété des objets. Ne se limitant pas à un catalogage recensant les
produits de l’époque gallo-romaine présentés par l’antiquaire, l’auteur prime son discours par la
424
YON, Jean-Claude, op.cit, 2004, p. 137.
425
M.S.R., Fonds documentation : Duquénelle (catalogue), p. 278-318.
104
13. seule « grande vitrine de M. Duquénelle », concernant la salle des Rois de l’archevêché.
L’antiquaire rémois bénéficie ainsi d’une publicité nationale, dans une revue archéologique de
référence puisqu’il s’agit d’une publication officielle de la Société française d’archéologie 426.
Ces deux critères d’organisation et de prêt cumulés font de l’antiquaire un acteur, objectivement
modeste mais de son point de vue essentiel, de la rétrospective locale mais aussi dans la promesse
d’un avenir radieux pour la ville. L’exposition rétrospective, et autres fêtes, doivent permettre à la
ville et à sa population de se tourner vers l’avenir, 427 en regardant le passé sans remords après la
guerre de 1870. L’exposition rétrospective de Reims en 1876 est un succès puisqu’elle a accueilli
quarante mille visiteurs, soit statistiquement la moitié de la population rémoise la même année 428.
C’est dans cette même perspective que l’antiquaire participe aux expositions nationales.
Nicolas-Victor Duquénelle participe à l’exposition universelle de Paris en 1867. Il s’agit de
la cinquième exposition universelle, et particulièrement de la seconde organisée à Paris ; la
première avait eu lieu en 1855, suivant la première exposition universelle initiée à Londres en 1851,
présentait les produits agricoles et industriels et prônait le libre-échange.
L’exposition universelle de 1867, dite d’art et d’industrie, ouvre ses portes sur le Champ-de-Mars
de Paris le 1er avril et se clôt le 3 novembre. Elle est d’une nature très différente de la précédente.
Quarante-et-un pays y sont représentés, et elle marque l’apogée du second Empire français. La
prééminence, en effet, revient au pays accueillant. Pour preuve, le tiers des exposants sont des
français. L’exposition reçoit à onze à quinze millions de visiteurs et récompense dix neuf mille
personnes 429.
Les prêts de l’antiquaire rémois sont exposés au musée de l’histoire du travail, qui siège au centre
du bâtiment principal de la section française. Ainsi, de par sa situation spatiale, l’histoire universelle
tient une place importante. Cette singularité est renforcée par le commentaire de Charles de Linas
qui reprend une phrase du Times, comme pour légitimer son discours par une référence
internationale : « l’histoire du travail est et restera le triomphe de l’exposition universelle de 1867 ».
Il poursuit et considère que l’exposition de l’histoire du travail est la plus brillante, appuyant son
jugement sur la richesse des collections issues des musées de province, des établissements religieux
et des amateurs, qui, sollicités par les commissaires de l’exposition, n’ont pour la plupart pas refusé.
426
LAURIERE, Jules (de), « L’archéologie à l’exposition de Reims ». Bulletin Monumental, 1876, IV, 42, p. 611-614 ;
Annexe 9.
427
PELLUS, Daniel, op.cit, 2003, p. 100-102.
428
Reims, en 1876, comptait 81.328 habitants.
429
YON, Jean-Claude, op.cit, 2004, p. 142-144
105
14. De par cette association des galeries publiques et privées, et excluant les musées impériaux qui
n’ont pas participé, sept galeries ont vu le jour et recensent plus de cent mille objets 430.
Une sollicitation individuelle des collectionneurs par les commissaires est à exclure. Il s’agirait
plutôt d’un appel à contributions. Le collectionnisme, au XIXe siècle, est organisé et est à
rapprocher de la sociabilité savante. On peut donc supposer que ces appels ont été envoyés aux
sociétés académiques de province, comme l’Académie impériale de Reims, mais aussi aux sociétés
disciplinaires nationales, comme la société française de numismatique et d’archéologie. Dans son
Annuaire de 1867, cette société évoque la numismatique à l’exposition universelle de 1867, dont les
prêts de Nicolas-Victor Duquénelle, puis rappelle que l’antiquaire est des leurs 431, depuis 1861 en
outre.
Le prêt, dans sa formalité, une fois consenti par l’institution publique ou le particulier, est organisé.
Les commissaires de l’exposition de l’histoire du travail font déplacer les objets de la province vers
l’exposition de la capitale. Les frais de transport sont pris en charge ou indemnisés. Ce transport des
objets ne nécessite pas le voyage volontaire de l’antiquaire, ni sa présence permanente, l’exposition
durant sept mois. Cependant, il est à supposer qu’un aller-retour entre la province et Paris est offert
aux prêteurs, en gage de leurs bons services. Ces objets rassemblés, méticuleusement classés par
Adrien de Longpérier, constituent un intérêt pour l’histoire du travail national 432. L’antiquaire, par
ces prêts, participe donc à la gloire de la Nation et de son identité.
Ces pièces, prêtées, doivent parvenir à destination avant l’ouverture de l’exposition. Il semble,
cependant, que l’arrivage des prêts de Duquénelle ait nécessité plusieurs navettes. La chronique des
arts et de la curiosité précise dans son édition du 31 mars 1867 433 que les prêts de l’antiquaire
Duquénelle et du musée archéologique de Reims se composent de fibules en bronze émaillé, et
ajoute dans l’édition suivante du 7 avril 434 que la deuxième salle de la division de l’histoire du
travail a vu ses collections augmenter par l’apport de vases en terre rouge appartenant à l’antiquaire
rémois.
Le musée de l’histoire du travail se décline en sept salles. Ces salles présentent la continuité
chronologique du travail français. La première salle se consacre aux objets préhistoriques, tandis
430
LINAS (de), Charles, « L’histoire du travail à l’exposition universelle de 1867 ». Revue de l’art chrétien, 1867,
p.617-618.
431
« La numismatique à l’exposition universelle de 1867 ». In : Annuaire de la Société française de numismatique et
d’archéologie. Paris : impr. Pillet fils aîné, 1867, p. 433-435.
432
CHEVALIER, Michel (dir.), Exposition universelle de 1867 à Paris : rapports du jury international, publiés sous la
direction de M. Michel Chevalier, membre de la Commission impériale, T. 1. Paris : impr. administrative de Paul
Dupont, 1868, p. 151.
433
« Exposition universelle ». La chronique des arts et de la curiosité, supplément à la Gazette des beaux-arts, 31 mars
1867, n° 178, p. 99-101.
434
« Exposition universelle ». La chronique des arts et de la curiosité, supplément à la Gazette des beaux-arts, 7 avril
1867, n° 179, p. 108-109.
106
15. que la seconde et la troisième recensent respectivement les objets gallo-romains et mérovingiens.
Le prêt de l’antiquaire intervient dans la deuxième salle qui présente les produits de la Gaule
indépendante et de la Gaule sous la domination romaine. Outre les objets cités dans le paragraphe
précédent, l’antiquaire prête à la commission d’organisation de l’exposition universelle des moules
de terre 435 qui portent diverses empreintes impériales et qui servaient à couler les monnaies d’argent
au IIIe siècle. Ce premier prêt complète la collection du musée de Meaux, permettant une étude
comparative, et établit au regard des organisateurs et des visiteurs la filiation de l’antiquaire à la
numismatique. La deuxième salle du musée de l’histoire du travail présente également une
collection de cent vingt cinq statues et statuettes gauloises, objets des institutions muséales ou
pièces de collection. A cet égard, Nicolas-Victor Duquénelle apporte sa contribution aux côtés de
sept autres collectionneurs : Julien Gréau de Troyes, le commandant Oppermann 436, du baron
Auguste-Théodore de Girardon, membre non résidant du comité des travaux historiques et
scientifiques, du strasbourgeois Sutterlin, des toulousains Charvet et Commez et Jules Roy-Chevrier
de Chalon-sur-Saône. Le profil des collectionneurs prêtant pour l’exposition universelle est très
hétéroclite, dans leur contrée géographique mais aussi dans leur représentation scientifique.
Certains, en effet, sont plus intégrés dans les notabilités scientifiques. On observe en tout cas, pour
cette étude, un nombre limité de ces figures de la collection, proportionnellement au nombre
d’objets prêtés, d’autant plus que certains d’entre eux sont évoqués de nouveau pour le prêt d’autres
objets. Nicolas-Victor Duquénelle prête des vases de terre gallo-romains, que le jury international
considère comme « le point de départ de l’industrie céramique ». Pour ces vases, interviennent
également les prêts des musées d’Aix, d’Auxerre, d’Arles et d’Avignon, ainsi que celui du
toulousain Charvet, déjà évoqué. L’énonciation des prêts muséaux laisse à penser que pour chaque
typologie d’objets, la commission d’organisation sollicite les musées par liste alphabétique. Pour les
collections particulières en revanche, rien ne laisse à penser qu’il s’agisse d’un appel dénominatif
mais contributif 437. Charles de Linas évoque le prêt par Nicolas-Victor Duquénelle de statuettes en
os, d’une flûte d’os percée de cinq trous, d’objets en os et de bois de cerf sculptés. Il énumère
également la portion d’un coffre d’ivoire, un bas-relief à iconographie mythologique figurant
Bacchus entouré de satyres et de ménades, un Mercure accompagné d’un bélier et enfin un Silène
du IIIe siècle 438. Gabriel de Mortillet, enfin, évoque les pièces de l’époque du bronze et rapporte la
435
Art.cit., 1867, p. 434 ; LINAS (de), Charles, art.cit., 1867, p.627.
436
http://www.cabinetdesmedailles.net/Association_pour_le_Cabinet_des_medailles/Collectionneurs.html. Il est cité
comme l’un des grands collectionneurs, donateurs ou légataires, du cabinet des médailles.
437
CHEVALIER, Michel (dir.), op.cit, 1868, p. 151-153.
438
LINAS (de), Charles, art.cit., 1867, p. 629.
107
16. présentation de deux pièces curieuses. Il s’agit de deux couteaux en bronze, en lame ondulée mais
en soie, qui ont été exposés par Nicolas-Victor Duquénelle et par le troyen Théophile Habert 439.
Michel Chevalier, membre de la commission impériale, évoque pour cette période l’initiation « de
l’examen des produits du travail national » 440. La contribution de l’antiquaire intervient dans
l’affirmation de l’identité nationale mais aussi dans une concurrence entre les pays relevant un
nationalisme. Les prêts des musées départementaux français et des collectionneurs, au profil
géographique divers, témoignent d’une volonté d’inscrire l’identité nationale dans l’histoire du
provincialisme. Ces contributions à l’exposition universelle explicitent en effet le souhait de
construire une histoire mélangée des souvenirs locaux et une identité nationale qui s’est appuyée sur
les identités locales. Les prêts de l’antiquaire formuleraient alors un discours sur la prééminence et
l’originalité rémoise dans le recueil français des monuments gallo-romains. Nicolas-Victor
Duquénelle, par ce prêt, se considère comme un défenseur et un représentant de son territoire.
L’antiquaire, surtout, dans son intérêt personnel, justifie par les actes son utilité qu’il avait énoncée
dans la physiologie de l’antiquaire. Cette participation, dans le même objectif que son entrée dans
les cercles savants à tous les échelons, permet à l’antiquaire de dépasser son champ spatial qui
relève du niveau local. Ces prêts à l’exposition universelle, en effet, sanctionnent une présence de
Nicolas-Victor Duquénelle dans les publications nationales. L’antiquaire, ainsi, gagne notabilité,
par le prêt d’objets, en représentation. Lui-même, d’ailleurs, l’est devant les personnages officiels,
les figures nationales et les visiteurs, très nombreux. L’antiquaire, enfin, gagne en reconnaissance,
par son acceptation de participer à l’écriture ou à la réécriture du destin national, par le mélange
d’objets.
L’intéressement supérieur de l’antiquaire est la distinction officielle. Henri Jadart, dans son ouvrage
sur l’antiquaire paru en 1884, rapporte la participation de Nicolas-Victor Duquénelle à l’exposition
universelle. Il évoque dans un premier temps la reconnaissance locale en soulignant qu’ « on lui sut
quelque gré de cette large coopération aux entreprises nationales ». Puis, il témoigne de la
récompense délivrée à l’antiquaire, qui est une médaille de bronze. Ces récompenses, cependant,
sont marginales puisqu’elles sont reçues par des milliers de personnes.
Henri Jadart atteste également, à partir de lettres d’Alexandre Bertrand, destinées à l’antiquaire et
relatives à l’exposition universelle de 1878 » de la participation de Nicolas-Victor Duquénelle à la
première exposition universelle parisienne de la IIIe République. Il aurait ainsi également reçu, pour
439
MORTILLET (de), Gabriel, « Promenades préhistoriques à l’exposition universelle ». Matériaux pour l’histoire de
l’homme, mai-juin 1867, n°5 & 6, p. 244.
440
Ibid., p. 150.
108
17. ces services, une autre médaille de bronze 441. Seul l’ouvrage de Henri du Cleuziou,
hypothétiquement, indiquerait en effet une probable participation de l’antiquaire. Dans son étude
sur l’histoire de l’art en France, évoquant une planche de figures parmi laquelle un objet
appartenant à l’antiquaire rémois, remercie l’obligeance de Gabriel de Mortillet qui lui a permis de
reproduire ces objets exposés à l’exposition universelle de Paris en 1878, sise au Trocadéro,
pratique pourtant interdite par le règlement de la commission d’organisation 442.
Ces expositions, locale et nationale, trouvent leur place dans un contexte particulier. L’exposition
universelle de 1867 et l’exposition rétrospective de 1876, bien que proches, se séparent de par la
guerre de 1870 qui affirme le nationalisme. Elles ont cependant un dessein similaire, exprimé par
Henri Jadart pour l’exposition rétrospective rémoise mais tout aussi admissible pour l’exposition
nationale, c'est-à-dire la remise au jour « des titres de gloire de la France, ses richesses artistiques et
historiques », et donc de ses provinces. Henri Jadart, d’ailleurs, ajoute que cette exposition fût l’une
« des plus complètes manifestations de l’art provincial » 443. Cette citation confirme ce concept de
superposition des provincialismes, constructrice de l’identité étatique et nationale.
La participation à ces expositions témoigne d’un engagement de l’antiquaire, qui consiste en la
transposition partielle et temporaire de sa collection privée dans le domaine public. Le don au
musée fait partie, lui aussi, de cette pratique du « transfert ».
441
JADART, Henri, op.cit, 1884, p. 18.
442
CLEUZIOU (du), Henri, op.cit, 1882, p. 205-206.
443
JADART, Henri, op.cit, 1884, p. 13.
109