2. L’ortie, la plante velue qui nous veut du bien
Elle est sans doute l’une des seules plantes sauvages que l’on peut reconnaître les yeux fermés.
C’est qu’elle pointe ses redoutables feuilles poilues au moment où, précisément, on commence à se
promener les gambettes à l’air.
«Pour moi l’ortie, c’est l’enfance en culottes courtes. Qui s’y frotte s’y pique!» lance ainsi le chef
Philippe Audonnet, du restaurant Windows de l’Hôtel d’Angleterre. Et comme dans sa famille on
n’apprêtait pas l’ortie, ce sont surtout de cuisants souvenirs sur les chevilles que lui a laissés la verte
créature. Il a dû attendre quelques années pour que celle-ci finisse par lui titiller les papilles. «Je
travaillais dans un Relais & Châteaux et j’ai découvert son association en salade avec du foie gras. »
Fuire la banalité à tous crins
Depuis, il tente de sortir l’ortie du sempiternel potage: «Contrairement à l’ail des ours, plutôt facile à
«vendre», l’ortie reste associée à la campagne et à une cuisine rustique. Pour la proposer sur une
carte gastronomique, il faut donc éviter la banalité. » Dont acte, avec une très chic salade aux
asperges vertes et blanches, que l’ortie coiffe de chips croustillantes (mais pas piquantes!) et souligne
d’un coulis ultra pétant, quasi disco.
Quelques kilomètres plus loin sur les rives du Léman, c’est la même démarche que poursuit, à sa
manière, Yvonne Pahud à Aubonne. Sous l’égide de «Dandelion», cette botaniste gourmande
organise balades et ateliers de cuisine autour des plantes sauvages. Et lorsqu’on lui parle d’ortie, elle
répond «cadeau de la nature». A condition, toutefois, d’être curieux: «La soupe c’est bon, mais c’est la
formule du paresseux. L’ortie a bien davantage de cordes à son arc. »
En sauce ou en coulis, elle se marie par exemple fabuleusement bien avec les viandes blanches, les
poissons et les crustacés. Mais elle est aussi capable de relever une saignante entrecôte. «Pour cela,
je fais un beurre d’ortie que je conserve au congélateur et que je peux ainsi utiliser toute l’année»,
raconte la cuisinière. L’ex triple étoilé Marc Veyrat ne fait pas autre chose avec ses escargots au
beurre itou.
Quant aux amateurs d’huile d’olive, ils peuvent écrabouiller la plante dans un pesto pour relever
spaghetti, risotto, ou encore poissons du lac (à nous les bonnes paupiettes de féra!). Sans oublier son
rôle dans les raviolis (en farce avec de la ricotta), les gnocchis, ou encore dans un gratin de patates.
Qui s’y frotte s’y pique
Mais pour jouir totalement de ses innombrables vertus(lire encadré), il convient de la traiter avec
égard. A savoir la cuire, mais à peine, un peu comme les épinards. On la blanchira quelques
secondes dans de l’eau bouillante, et basta. Cette brève cuisson la débarrassera au passage de ses
pouvoirs urticants.
Car crue, l’ortie pique, à moins de la hacher. On ne retirera donc pas ses gants en cuisine, sauf si on
a atteint le niveau de «zénitude» d’Yvonne Pahud, qui la cueille à mains nues: «C’est une question de
maîtrise de soi. Moi, je sais que l’ortie est gentille et qu’elle ne me veut pas de mal. Elle ne m’en fait
donc pas. » Soit.
A défaut, on peut tenter la solution «Grand Bleu» (arrêter de respirer en la cueillant), ou la très
intrigante formule capillaire: «Il paraît que si l’on se passe la main dans les cheveux avant de la
cueillir, elle ne pique pas. Mais j’avoue ne pas avoir testé la chose», rigole Philippe Audonnet en
caressant son crâne chauve…