Les statuts ouvriers et employés
Le feu couvait depuis 18 ans, l’incendie s’est déclaré avec le début de l’été 2011 : le 7 juillet la Cour constitutionnelle a déclaré que les articles 52§1 et 59 la loi du 3/07/78 sur les contrats de travail violaient les articles 10 et 11 de la Constitution.
En d’autres mots : la loi est inconstitutionnelle en ce qu’elle dit que l’ouvrier n’a pas droit au salaire garanti pour son premier jour de maladie (jour de carence) et en ce que son délai minimum de préavis de licenciement est fixé à 28 ou 56 jours selon que son ancienneté est inférieure ou supérieure à 20 ans alors que l’employé dispose lui d’un minimum de trois mois par période de 5 années de service.
Bref état des lieux de la question.
1. P.
Namote
&
B-‐H.
Vincent
L’Echo
04/08/2011
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Apartheid social ?
Le feu couvait depuis 18 ans, l’incendie s’est déclaré avec le début de l’été 2011 : le 7 juillet la Cour
constitutionnelle a déclaré que les articles 52§1 et 59 la loi du 3/07/78 sur les contrats de travail
violaient les articles 10 et 11 de la Constitution.
En d’autres mots : la loi est inconstitutionnelle en ce qu’elle dit que l’ouvrier n’a pas droit au salaire
garanti pour son premier jour de maladie (jour de carence) et en ce que son délai minimum de
préavis de licenciement est fixé à 28 ou 56 jours selon que son ancienneté est inférieure ou
supérieure à 20 ans alors que l’employé dispose lui d’un minimum de trois mois par période de 5
années de service
Ces quelques mots sont une vraie bombe. Si l’explosion ne s’est pas fait entendre c’est parce que
l’arrêt a été prononcé pendant les vacances, le jour où la NVA a refusé la note Di Rupo et parce que
la Cour constitutionnelle a ajouté que les effets de la loi inconstitutionnelle seront maintenus jusqu’à
ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions et au plus tard jusqu’au 8/07/13.
Toujours est-il que depuis le 8/07/11, un ouvrier qui est licencié conformément à la loi est victime
d’une discrimination illicite. Les conditions de sa perte d’emploi portent atteinte à ses droits
constitutionnels de citoyen. Il y a apartheid social !
Quel est le rôle de la Cour constitutionnelle ?
La Cour constitutionnelle a un rôle d’avis. Les juges du fond, confrontés à une question de respect
par la loi des règles constitutionnelles, sont autorisés à lui poser une question préjudicielle et la
réponse donnée lie le juge qui a posé la question. Elle dirige également la jurisprudence générale en
ce que les autres juges ne peuvent poser des questions identiques : la réponse a été donnée, elle
est définitive. Les conséquences seront ensuite arbitrées par les tribunaux et cours d’appel.
La Cour ne répond qu’à la question qui lui est posée, et le juge ne peut questionner la Cour
constitutionnelle que dans la mesure limitée par le procès qu’il doit traiter. C’est important : ceci
signifie que si la Cour constitutionnelle a jugé que les articles de loi en matière de jour de carence et
de durée du préavis de l’ouvrier sont inconstitutionnels, tous les autres articles qui font un
traitement différencié – et pécuniairement moins favorable - de l’ouvrier sont vraisemblablement
également inconstitutionnels. Pensons notamment au salaire garanti, à la période d’essai, au
chômage économique ou technique, …
Ouvriers, employés, même combat ?
La distinction de traitement puise ses racines dans l’histoire socio-économique. La loi du 3/07/78
n’est que la compilation de diverses lois antérieures sur les contrats de travail, des lois plus
anciennes nées de l’après-guerre. Autrement dit, des lois sexagénaires alors qu’un siècle en droit
social, c’est un millénaire.
A ce moment l’économie belge était clairement industrielle et agricole. Les ouvriers « cols bleus »
formaient la population productive, la grande masse laborieuse, et les employés « cols blancs »
jouaient le rôle aujourd’hui conféré aux cadres. A l’instar des officiers de marine, les employés ne
quittaient pas l’entreprise en difficultés, ils coulaient avec s’il le fallait. Il était nécessaire que nos
capitaines d’industrie d’alors puissent adapter la masse salariale à l’évolution du carnet de
commandes, ce qui signifie embaucher rapidement, licencier tout autant et, dans l’intervalle, pouvoir
mettre au chômage temporaire la capacité excédentaire. Cette flexibilité ne touchait que l’agent de
production que n’était pas l’employé.
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Namote
&
B-‐H.
Vincent
L’Echo
04/08/2011
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Notre société s’est tertiarisée. Le service est aujourd’hui ce que le bien de production était hier. Et
l’agent de production de ces services est de plus en plus souvent un employé car le service est dit
intellectuel (comptabilité, informatique, vente, communication, etc). Or la loi dit que l’employé est
l’intellectuel et l’ouvrier le manuel. Structurellement il y a de plus en plus d’employés et de moins en
moins d’ouvriers, actuellement la proportion serait de 60 % d’employés pour 40 % d’ouvriers. Ce
level-up social, qui est une réalité purement sociologique, n’est le fait ni d’une volonté des
partenaires sociaux - dont les organisations syndicales -, ni d’une volonté politique et ses
conséquences juridiques peuvent poser problèmes dans certaines entreprises, surtout dans des
PME, incapables de faire face aux coûts des licenciements lorsqu’ils sont devenus incontournables et
urgents.
Est-il raisonnable de rendre des entreprises si peu manœuvrables en cas de difficultés ? Faut-il
procéder à une harmonisation vers le bas et faire accepter aux employés une réduction de leurs
droits sociaux, ce que d’aucuns perçoivent comme une régression sociale ?
Quelles vont être les conséquences de cet arrêt du 07/07/11 ? Quelles sont les sources du blocage
des négociations sur l’harmonisation des statuts, les enjeux, les alternatives ? Tels sont les aspects
de cette question sur lesquels nous vous proposons de revenir lors d’une prochaine livraison.
Une question ? Posez-la à namotte-patrick@skynet.be
Plus d’infos sur les auteurs :
Bruno-Henri Vincent, Avocat Litis S http://tinyurl.com/bupk9ez
Patrick Namotte, Consultant indépendant http://tinyurl.com/c6j37o6