Alerte, bercy sabote la taxation des transactions financières !
1. Alerte : la France sabote la taxation
des transactions financières !
Le Monde.fr | 11.07.2013 à 20h35 • Mis à jour le 12.07.2013 à 14h33 |
Par Dominique Plihon (Porte-parole d'Attac France) et Peter Wahl
(Président de l'ONG allemande WEED)
La France avait soutenu l'introduction d'une taxe sur les transactions financières
(TTF) à l'échelle européenne sous la présidence de Nicolas Sarkozy . Lorsqu'il
était devenu clair que la TTF ne serait pas acceptée par les 27 Etats membres
de l'UE – la Grande Bretagne , la Suède et le Luxembourg étaient farouchement
contre – un groupe de onze pays, dont l'Allemagne , l'Autriche , la Belgique ,
l'Espagne , la France et l'Italie - a choisi la méthode de la "coopération
renforcée" pour introduire la taxe en s'appuyant sur le projet de directive de la
Commission. Le projet de la Commission n'était certes pas parfait, mais il
constituait un pas en avant important, et bénéficiait du soutien de la société
civile. La France avait activement soutenu cette initiative. François Hollande
s'était énergiquement prononcé pour la TTF dans sa campagne électorale.
Lire aussi Moscovici prend ses distances avec la taxe sur les
transactions financières (/economie/article/2013/07/11/moscovici-critique-la-taxe-sur-
les-transactions-financieres_3446409_3234.html)
Lorsque le groupe de travail prévu par la procédure de coopération renforcée
avait commencé ses négociations en février dernier, il apparaissait que la
France, représentée à l'époque par le Ministère du budget, allait jouer un rôle
constructif. Après le départ de Jérôme Cahuzac , le ministère des finances a pris
en charge ce dossier. Depuis lors, la France a fait machine arrière et semble
avoir rallié le camp des adversaires de la taxe. Alors qu'il déclare publiquement
défendre la TTF, le ministère français exige en coulisse des exceptions qui,
prises ensemble, feraient de la taxe une farce sans effet régulateur qui ne
produirait que des recettes ridiculement faibles !
Lors de la réunion du groupe de travail, le 22 mai, le ministère a ainsi déclaré
voir beaucoup de problèmes dans la proposition de la Commission et a
demandé l'introduction d'amendements d'une portée considérable. Le ministère
des finances français remet en cause les points suivants :
Le principe d'origine. Le projet de la Commission prévoit plusieurs mesures
contre l'évasion fiscale, dont le premier est le principe d'origine. Cela veut dire
qu'une banque française est taxée même si elle fait une transaction en dehors
2. de l'Union européenne , par exemple à New York. En complément de ce
principe, la Commission veut taxer selon le principe d'émission. Ici, le critère est
l'origine de l'instrument, et non pas de l'institution financière. C'est-à-dire qu'une
action de Renault vendue à Hongkong par une banque japonaise serait aussi
taxée. Le ministère français ne veut appliquer que le principe d'émission. Mais
puisque la plupart des produits dérivés sont traités sur des marchés de gré à
gré et ne donnent pas lieu à émission, la position française permettrait à une
part importante des transactions d'échapper à la taxation. La taxation de
chaque transaction. Tandis que la Commission propose de taxer chaque
transaction, le ministère français veut taxer les opérations après compensation.
Cela signifie que la taxe ne serait prélevée qu'une fois par jour, à la clôture du
marché. En ce cas, les revenus ne seraient qu'un petit pourcentage de ceux
obtenus par la première méthode ; la TTF perdrait son effet régulateur, en
particulier sur les transactions à haute fréquence. La taxation des vendeurs et
acheteurs. Le projet de la Commission prévoit la taxation sur les deux bouts
d'une transaction, c'est-à-dire que le vendeur et l'acheteur doivent payer . Le
ministère français demande de ne taxer que les vendeurs, réduisant ainsi de
moitié les recettes fiscales. La taxation au sein d'un groupe. Le projet de la
Commission souhaite taxer les transactions au sein d'un groupe, par exemple
entre la maison-mère et ses filiales. Le ministère de finances français est contre
cette proposition. La valeur nominale des dérivés. La Commission propose de
taxer un produit dérivé selon la valeur nominale couverte par le produit, et non
pas selon le prix du produit lui-même. Si Paribas par exemple vend une option
pour l'achat d'actions dans deux mois pour cent millions d'euros, ce seront les
cent millions qui sont taxés. Le prix de l'option se situe normalement entre 3 %
et 5 % de la valeur nominale. La proposition française signifierait donc une
réduction de la taxe d'au moins 95 %. Le "Repos". Enfin, la France demande
que les « repos » (opérations de pension) soient exemptés de la TTF. Les
"repos" sont des crédits à très court terme (quelques heures ou une nuit) entre
banques, qui sont généralement utilisés pour financer des opérations
spéculatives. Juridiquement, les "repos" sont – à juste titre - considérés comme
des transactions. Ils doivent donc être assujettis à la TTF. L'exemption des
"repos" serait une prime à l'économie de casino que souhaite combattre la TTF.
Ce recul de la France a eu lieu derrière les portes closes d'une négociation sans
aucune transparence, ni légitimation démocratique. L'Assemblée nationale ne
semble pas être au courant. Bien sûr, il ne s'agit pour le moment que de
négociations techniques entre hauts fonctionnaires. Mais si le gouvernement
Ayrault valide la position régressive de Bercy, cela signifiera qu'il a capitulé sous
la pression du Medef et de la Fédération française des banques pour qui la TTF
serait "destructrice de richesse". La TTF serait alors une caricature de la
proposition de la Commission.
Dominique Plihon (Porte-parole d'Attac France) et Peter Wahl (Président
de l'ONG allemande WEED)