1. La vie ça tient a pas grand-chose
des chiffres
La vie, des fois, ça tient à pas grand chose…
130 13042 13401 8501 115 3528 416 17214 … (source) ainsi
commence un message qui a bouleversé des milliers de vie.
Pourtant ce ne sont que des chiffres. Mais commençons par le
commencement :
31 Janvier 1917, Berlin.
« Avec tout le respect qui vous est dû, il faut dès à présent couper les routes
maritimes de l’Angleterre. Cela ne sera possible que par une action forte menée par les
U-Boote. »
Wilhem II écoutait Von Tirpitz avec attention. Il réfléchisait aux conséquences que
pourraient entraîner une reprise des attaques sous-marines à outrtrance. Les Etats Unis
seraient forcément touchées, et risqueraient d’entrer en guerre à leur tour, l’Empereur
d’Autriche, son allié, risquerait de s’offusquer voire pire de l’abandonner.
« Pour les Etats Unis, Zimmermann a une idée : aidons les Mexicains à entrrer en
guerre avec Washington ! Concernant l’Autriche, vos liens avec l’Empereur Charles
devrait vous permettre de le ramener à la raison. »
« Diantre, ils ont donc pensé à tout… » pensa rapidement le Kaiser.
« Hé bien soit ! Si vous pensez que nous avons la capacité de faire rendre gorge aux
Anglais, allons-y ! Déclenchons une guerre totale sur et sous les mers ! »
un remplacement
Raz de Sein, mars 1917
2. « Halt ! Mettez vous boute-au-vent »
La voix venait de la passerelle du U Boot. Le patron pêche s’exécuta immédiatement et
ordonna la manœuvre. Ils arrivaient en vue de Sein après avoir quitté Poulgoazec tôt le
matin. La chaloupe s’immobilisa donc à proximité du U Boot.
« Messieurs, le Kaiser a décrété la guerre sous-marine totale depuis le 1er
février 1917.
Jusqu’à présent, l’équipage du U 36 n’a pas mis en péril vos chaloupes, mais je dois
vous informer que je serai remplacé très prochainement au Commandement de mon
navire. Le futur commandant n’aura pas autant d’indulgence que moi, et je souhaitais
vous en informer. Je vous prie maintenant de faire demi-tour ! ».
Le patron ne se fit pas prier ! A bord il y avait dix hommes dont son fils de 16 ans. Il
avait entendu parler de cette guerre sous-marine, et il ne souhaitait pas être coulé. La
chaloupe fit donc demi-tour, laissant les filets qu’ils étaient venus relever. La situation
allait devenir dure si les sous-marins les empêchaient de pêcher…
un grain
30 mars 1917, Jetée de Poulgoazec en Plouhinec
Les 4 patrons-pêche sont là à observer le large. Ca fait maintenant
une semaine qu’ils cogitent sur l’information : le Commandant du
U36 a changé. L’ancien les a prévenus : le nouveau appliquera
dorénavant les ordres ! Donc pas de pêche en-dehors de la
protection des batteries côtières. Seulement les batteries elles
protègent pas bien loin ! Il n’y a plus rien à pêcher dans le coin… Non il n’y a pas à
tortiller, il faut retourner vers Sein, plus au large. Sinon la situation deviendra vite
intenable !
Ils en sont là de leur réflexion.
Et puis il voient bien que le temps commence à grossir depuis cet après-midi. Un grain
leur permettrait de naviguer un peu à l’abri des vigies allemandes.
3. De toute façon, ils n’ont plus vraiment le choix, leurs familles et celles de leurs
hommes ne vont plus tenir bien longtemps sur les maigres réserves.
« Bon ! On embarque demain ?
- On part à quatre chaloupes, alors.
- Ben je pense que ce sera le mieux,
- Avec un peu de chance le grain nous cachera, et puis il devrait y avoir du vent, on
sera vite rentré !
Ils se quittèrent ainsi. En regagnant sa maison, le patron du « Providence de Dieu » se
demandait comment il allait annoncer à sa femme qu’il embarquait demain avec son
fils. Elle comprenait bien qu’il fallait qu’ils retournent pêcher mais depuis qu’elle avait
entendu parler du changement de commandant au lavoir, elle avait du mal à imaginer
leur fils en mer.
une rencontre
1er
avril 1917, Baie d’Audierne
Les 4 chaloupes passèrent la barre
d’Audierne sans souci, le vent était
régulier. Les bateaux font route vers
Sein. Là-bas il y a plus de poissons, la
pêche devrait être rapide et tout le monde devrait donc être rentré rapidement.
C’est du moins ce qu’a dit le patron du « Providence de Dieu » à son épouse avec
assez de conviction semble t’il pour qu’elle laisse embarquer son aîné avec son père
ce matin.
Il regarde son fils du coin de l’œil. C’est le plus jeune de l’équipage. Il y a un autre
mousse, d’un an plus vieux. Et puis des hommes qui vont de la trentaine à plus de 50
ans. Tous font confiance au Patron. S’il a décidé d’y aller c’est qu’il doit penser que
4. c’est bon. D’ailleurs ils regardent sur le pont des autres bateaux et voient que tout le
monde est là. Ils ont besoin de pêcher. Avec la guerre, la situation n’est pas rose, déjà
qu’avant c’était pas follichon, mais là, on manque de tout. Alors une bonne pêche leur
permettra de survivre encore quelques temps.
Et puis, au loin, apparaît une forme. Noire, élancée à la surface de l’eau : un U Boot.
(source image)
l'obeissance
Même jour même endroit
« Boum ! Boum !» Deux obus sont tirés depuis le bâtiment de guerre. Deux bateaux
sont touchés de plein fouet. La « Providence de Dieu » et la « Jolie Brise » sombrent
presqu’immédiatement. Les hommes n’ont pas eu le temps de couper les filins retenant
les filets pour permettre aux bateaux de faire demi-tour. Les deux autres chaloupes
étant plus éloignées, elles ont eu le temps de filer.
Le grain tant espéré arrive enfin, il camoufle leur fuite.
Rentrés au port, ils auront de bien tristes nouvelles
à annoncer aux femmes qui attendent sur le quai et
aux autres marins partis pêcher plus près des côtes.
Plouhinec, de nos jours ou prochainement
J’espère bien un jour pouvoir aller voir le monument
aux morts de Plouhinec. Les noms des marins de la
« Providence de Dieu » et de la « Jolie Brise » y
sont inscrits sous l’épitaphe :
PESKETOURIENN KASSET DAR STAD GANT AR
BOCHET
(source image)
5. des documents
Il y a quelques années de ça j'avais essayé de raconter un épisode tragique de mon
histoire familiale, survenu en 1917. à cette époque, l'Allemagne avait déclenché la
guerre maritime totale, avec pour ambition d'empêcher les Américains de venir
soutenir la France et la Grande Bretagne.
Tout était parti d'un télégramme, codé, dans lequel les Allemands expliquaient leur
plan aux Mexicains, qu'ils invitaient par ailleurs à attaquer les USA. Les bateaux de
pêche commençant à être armés pour se protéger des sous-marins, le UB-36 qui
patrouillait, avec d'autres sûrement, dans la zone "Manche" changea de
commandant, et les chaloupes d'Audierne en furent informées. Les équipages
commencèrent par rester près des côtes mais le poisson se faisait de plus en plus
rare, et le patron de mon arrière grand-père et ceux de deux autres chaloupes
décidèrent de repartir quand même plus au large, vers Sein. Mais ce qui devait
arriver arriva, et le UB-36, commandé par Von Keyserlingt, patrouille dans le secteur
et coule deux chaloupes.
J'en reparle aujourd'hui car on m'a fourni deux éléments importants liés à cette
histoire :
le carnet de bord du UB-36 qui relate cet épisode, de façon extrêmement
laconique :
6. les gens qui me l'ont gentiment fait parvenir sont ceux qui tiennent un site très
complet sur les UBoot, dans lequel est relaté cette histoire. Ils m'ont même traduit les
lignes du haut, les seules mentionnant le torpillage :
"19h15 Deux navires de pêche coulés au canon entre Ile de Sein et Penmarc'h.
Patrouille.."
le deuxième document je l'ai trouvé un peu par hasard, au Printemps dernier,
l'association "Aux Marins" a commémoré la mémoire des marins-pêcheurs
disparus en mer au cours de la première guerre mondiale. l'affiche de cet
manifestation était une vue d'artiste d l'attaque par l'UB-36 de chaloupes
sardinières le 1er avril 1917, initialement parue dans le supplément illustré du
Petit Journal en date du 6 mai 1917 :
7. L'article accompagnant cette gravure évoque une fusillade ayant suivi le torpillage.
Je remercie Gallica en tout cas d'avoir scanné autant de documents. Le supplément
illustré est lisible dans son intégralité là:
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7172608/f8.image.langFR
La fiche de la "Providence de Dieu" sur le site de l'association "Aux Marins" :
http://www.auxmarins.net/sites/default/files/Centenaire/Bapech/PD.pdf
Maintenant je sais que la mort de mon arrière grand père et de ses compagnons a
été relatée dans la presse nationale, ça n'a pas dû nourrir la soixantaine d'orphelins
qu'ils laissaient derrière eux, mais au moins ils ne sont pas morts en silence.