Quelle stratégie pétrolière pour le Québec 04.2015
1. Quelle stratégie pétrolière pour le Québec?
Par Flavien Iszurin
Le Québec est aujourd’hui à la croisée des chemins pour son avenir pétrolier.
Les évaluations environnementales stratégiques (EES) se poursuivent pour déterminer la
faisabilité des projets pétroliers au Québec, et l’Office national de l’énergie (ONE) va continuer
en 2015 ses auditions publiques pour statuer du projet d’oléoduc Énergie-Est de TransCanada.
La question est de savoir si le Québec va devenir un producteur, s'il changera ses sources
d'approvisionnement, et s'il définira une stratégie pour modifier les habitudes de sa population
afin de diminuer notre dépendance collective au pétrole.
Incertitudes économiques
Pour le moment, les experts préconisent la temporisation. «Les deux évaluations
environnementales stratégiques [celle sur la filière québécoise des hydrocarbures et celle,
spécifique, sur Anticosti] menées conjointement entre différents ministères explorent cinq axes :
environnement, économie, société, transports, et aspects techniques. Attendons les conclusions de
ces études», déclare Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie
à HEC Montréal.
La faiblesse des cours mondiaux alimente l’incertitude sur la manne économique du pétrole
québécois. «C'est une variable qui ne devrait pas être surestimée. Toutes les parties prenantes
impliquées dans des projets tablent sur une remontée aux alentours de 75-80$ le baril à moyen
terme, considère Jean-Tomas Bernard, professeur invité à l’Université d’Ottawa en sciences
économiques.
Il souligne également la contradiction entre les chiffres avancés pour le gisement d’Anticosti et la
réalité du terrain. «S’il y avait sur l’île des promesses de dépôts aussi intéressantes, il est très
probable que des multinationales se seraient manifestées. Or ce sont des entreprises relativement
petites et l’État qui ont pris les devants sur ce dossier.»
S’il est admis que le pétrole de schiste extrait par fracturation hydraulique reste une technique
onéreuse, Germain Belzile, maître d’enseignement en économie appliquée à HEC Montréal, pense
qu’il faut se projeter dans l’avenir. «Avec le temps les pétrolières vont trouver des moyens plus
efficaces pour diminuer leurs coûts de production marginaux. Malgré le contexte actuel, les
fracturations hydrauliques ont augmenté au cours des six derniers mois au Dakota du Nord.»
Près de Gaspé, l’entreprise Junex a réussi à extraire 206 barils de pétrole par jour pendant 10 jours
au coût de 20$ le baril. «Mes attentes sont relativement modestes. Gaspé semble être la zone
d’exploitation la plus intéressante, car il s’agit de pétrole conventionnel», déclare Jean-Thomas
Bernard.
Et l’Ouest?
La construction de l’oléoduc Énergie-Est par TransCanada est censée permettre au Québec de
s’approvisionner davantage auprès de l’Ouest du Canada, à moindre coût. L’oléoduc est aussi
un mode de transport plus sûr que le train.
Les retombées économiques de l’oléoduc sont néanmoins incertaines. «La question de la
rentabilité doit être observée par rapport au prix mondial, car les raffineries achètent le pétrole au
prix mondial, considère Jean-Thomas Bernard. L’oléoduc Énergie-Est permettrait aux producteurs
d’Alberta et de la Saskatchewan d’avoir de nouveaux débouchés à l’international, mais cela ne
signifie pas que les Québécois paieront leur essence moins cher à la pompe, ni que la province
tirera de bénéfices économiques particuliers», ajoute-t-il.
2. Germain Belzile considère de son côté que la construction de l’oléoduc est nécessaire pour
stimuler l’industrie pétrochimique au Québec. «Des approvisionnements plus sécuritaires
représentent des incitatifs pour maintenir les raffineries», considère-t-il.
Le Québec n’est pas la Norvège
En Norvège, les revenus du pétrole sont investis depuis 1990 dans le fonds souverain
Government Pension Fund-Global, dont les actifs représentaient 863 G$ U.S. en juillet 2014.
La Norvège produit 1,5 million de barils par jour en moyenne. Cette production est stable
depuis quelques années, alors que le pays avait connu son pic pétrolier aux environs de l’an
2000, époque où elle produisait 3 millions de barils par jour. Il est peu improbable que le
Québec atteigne un jour ces niveaux de production à des coûts intéressants.
La dette publique brute de la Norvège s’établissait à 29,3% du PIB en 2013 selon Eurostat,
alors qu’elle était de 54,3% du PIB au Québec au 31 mars 2014. Le Fonds des générations mis
en place en 2006 et géré par la Caisse de dépôt et placement du Québec, dans lequel
pourraient être placées d’éventuelles redevances pétrolières, sert avant tout à générer des
rendements pour rembourser cette dette.
Le Fonds des générations, dans lequel il est prévu de verser 1,2G$ dans le budget 2015-2016,
devrait atteindre 16,7G$ en 2019. Dans un contexte où Québec paie chaque année un service
sur la dette de 11G$, des revenus additionnels liés au pétrole pourraient permettre d’alléger
plus rapidement ce fardeau.
Les conclusions des évaluations environnementales stratégiques (EES) à l’automne
permettront d’être fixé sur le véritable potentiel commercial de l’extraction pétrolière de l’île
d’Anticosti. À Gaspé, Junex a établi pouvoir retirer 20 millions de barils de l’aire de Galt, et
Pétrolia a prévu pouvoir extraire 7,7 millions de barils sur l’aire d’Haldimand. Ces niveaux de
production, très modestes, pourraient stimuler une petite industrie pétrolière au Québec.
Certainement pas la constitution d’une rente.
Modifier notre comportement
«Dans le débat sur l’énergie, nous mettons beaucoup d’emphase sur les dimensions de production
et de transports, mais nous négligeons la dimension toute aussi essentielle qui est celle de la
consommation, considère ainsi M. Pineau. Au-delà de la question de savoir si nous devons
exploiter du pétrole au Québec, en acheminer de l’Ouest canadien et par quel mode, ce sont toutes
les habitudes des consommateurs québécois que nous devons modifier sur le long terme».
Entre 1990 et 2011, le parc de véhicules au Québec a augmenté de 41 %, soit trois fois plus que la
croissance de la population de la province (+ 14 %). Selon la SAAQ (Société de l’assurance
automobile du Québec), on dénombrait 6,19 millions de véhicules de circulation au Québec en
2013. Les camions légers pour passagers et pour marchandises sont les deux catégories qui ont
connu la plus forte progression (respectivement +166% et +160%). Germain Belzile statue, dans
une étude publiée en décembre 2014 avec l’Institut économique de Montréal, que le Québec
devrait débourser 6,4G$ par an pour réduire sa consommation de pétrole de 20% et ses émissions
de gaz à effets de serre de 12%. Ce montant correspond à 1875$ par ménage.
Les spécialistes s’accordent assez largement pour considérer que le Québec ne pourra pas se
passer de pétrole dans un avenir proche. Seules les conclusions des rapports d’expertise attendus
à l’automne nous indiqueront s’il est viable d’exploiter du pétrole à Anticosti et si les coûts
sociaux et environnementaux sont suffisamment raisonnables pour s'y engager.
3. La consommation énergétique au Québec
Flavien Iszurin participe au projet d'appui à la relève en journalisme économique Québecor –
HEC Montréal