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e procédure peuvent amener certaines parties à conclure des
iccords sous la contrainte.
la même façon que la perspective d’une procédure peut mc
fer les comportements des acteurs, il y a une autre chose qui
iodifie le comportement des entreprises, c’est la jurisprudence
qui donne de la visibilité juridique. Et les accords négociés n’enri
issent pas la jurisprudence. Or, la jurisprudence dans le domaine
la concurrence est plutôt plus importante qu’ailleurs, donc il y a
un petit bémol sur l’intérêt des solutions négociées.
toraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ: Le débat a mis en
xergue qu’il y a des problèmes de frontières entre action pu
lique et action privée, mais qu’il nous appartient tous ensemble
•Ç4
COLLOQUE
de les résoudre, de telle sorte que la place de la France soit per
çue dans ce domaine comme une place crédible et robuste en
matière de private enforcement.
Quant à l’appel lancé par Monsieur le Président du Tribunal de
commerce de Paris sur la modification de l’article 446-2 du code
de procédure civile en matière de délais, je tenais, au nom de
I’A.RD.C., à vous manifester notre soutien et à vous dire que
nous allons inscrire cette question à un prochain conseil d’ad
ministration. Nous sommes, en effet, favorables, en droit de la
concurrence, à un traitement des dossiers compatibles avec la vie
des affaires et aux conséquences en découlant sur le calendrier
judiciaire. Soyez convaincu que I’A.RD.C. jouera son rôle plein et
entier dans ce domaine. •
able ronde n° 2: La question de la preuve
able ronde présidée par Olivier FRÉGET, Avocat à la Cour
-RLC 2720
livier FRÉGET: Deuxième temps de cette matinée, le sujet pra
ue après le sujet important qui a été évoqué du rôle de la déci
n dans l’action privée. On va entrer de plein pied sur la question
« comment prouver? ». La preuve est évidemment la question
tocédurale, pratique, et aussi théorique centrale.
alement, l’action privée/action publique, on en parle depuis 15
et je me souviens d’un colloque se tenant en 2005 où, déjà,
président Canivet disait « mais finalement le juge a tous les
oyens pour faire de l’action privée ». Il ne les avait peut-être pas
us finalement, puisque quand on voit le contenu de la directive,
s’aperçoit qu’effectivement il y a pas mal de verrous à faire sau
d’un point de vue de la gestion de la preuve, et c’est seulement
n arrive à les faire sauter qu’on peut envisager d’avoir une ac
n privée.
tte table ronde, comme la précédente, respectera un équilibre
tre action privée et action publique. Ce n’est pas seulement
régime de l’action collective, c’est aussi celui de l’action mdi
telle privée qui est modifiée par la directive. J’ai un panel au
tir de moi à la fois prestigieux et compétent, l’immense chance
te Madame Haasbeek de la Commission européenne vienne
Us présenter la pièce, l’élément qui en matière de preuve peut
Ire réellement bouger l’action privée, c’est-à-dire ce nouveau
rejet de directive, qui traite des trois points qui nous occupent
Ute la matinée à la fois la présomption irréfragable et l’action
dehors d’une autorité de concurrence, et une action lorsqu’on
ten follow-on. Je lui passerai dans quelques instants la parole
OUr que nous ayons une présentation sur l’accès à la preuve tel
Uméro 421 Janvier - Mats 2015
que demain la directive nous permettra de mieux l’organiser, puis
nous aurons une intervention du Professeur Claudel qui revien
dra sur la question de savoir jusqu’où va la présomption attachée
à une décision, jusqu’où on a un « effacement du juge ». Pour
laisser la parole en dernier au juge, ce sera Irène Luc pour une
synthèse de ce que le juge peut faire pour permettre cette pro
duction de la preuve.
Luke HAASBEEK, Commission européenne(*i : Sur le calendrier
d’adoption, les révisions linguistiques de la directive sont finies,
donc l’adoption finale par le Conseil est planifiée pour l’automne
2014, et le délai de deux ans pour la transposition par les Etats
membres pourra commencer.
L’effet sur les actions en dommages et intérêts : il y a un droit qui
émane directement du traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne que toute personne qui a subi un préjudice à cause
d’une infraction aux articles 101 et 102 du traité a le droit d’obtenir
la réparation intégrale de son préjudice. Mais en pratique, c’est
très difficile d’obtenir la réparation. Nous avons fait une recherche
des actions en dommages et intérêts sur la base des décisions
d’infractions qui ont été adoptées par la Commission entre 2008
et 2012, et nous avons trouvé que moins de 25% de ces décisions
étaient suivies par des actions en dommages et intérêts. Cela veut
(*) L’article reflète l’opinion de l’auteur et ne représente pas une position
officielle de la Commission européenne ou de sa Direction générale
de la concurrence.
Perspectives
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a
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4-,
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RLC 1175
dire qu’il y a 75% des affaires dans laquelle la Commission a trouvé
une infraction dans lesquelles il n’y a pas du tout eu d’action en
dommages et intérêts. Aussi, la plupart des actions sont concen
trées dans seulement trois États membres la Grande-Bretagne,
l’Allemagne, et les Pays-Bas. Il y a des actions dans d’autres États
membres, mais dans plus de 20 États membres il n’y a aucune ac
tion en dommages et intérêts sur la base d’une infraction établie
par la Commission. De plus, presque toutes les actions en dom
mages et intérêts sont initiées par des grandes entreprises il n’y a
presque aucune action émanant de consommateurs, ou de petites
et moyennes entreprises, et nous n’avons constaté presque au
cune action par les acheteurs indirects. Presque toutes les actions
sont instituées par les acheteurs directs. Les problèmes relatifs à
la preuve jouent un rôle très important dans ce défaut d’action en
dommages et intérêts.
Car normalement, il appartient au demandeur à l’action en dom
mages et intérêts de prouver qu’il y a une infraction, qu’il a subi un
préjudice, et qu’il y a un lien de causalité entre les deux.
En droit de la concurrence, les preuves dont le demandeur a be
soin ne sont pas en sa possession, puisqu’elles se trouvent chez
l’entreprise qui e commis l’infraction, ou un tiers. La nature de l’in
fraction, secrète et compliquée, fait qu’il y a une grande asymétrie
de l’information, au désavantage du demandeur à l’action en dom
mages et intérêts.
De plus, maintenant, dans le droit national des États membres, il
est très difficile d’obtenir l’accès aux preuves qu’on n’a pas en sa
possession.
Dans la directive, le législateur a essayé d’améliorer la situation du
demandeur.
Les articles 5 à 8 de la directive facilitent la position du deman
deur quant à la preuve. Par ailleurs, il y a un deuxième but, qui est
de faire une bonne balance entre d’un côté les actions en dom
mages et intérêts et d’un autre côté la mise en oeuvre du droit de
la concurrence par la sphère publique.
Sur l’accès aux preuves la directive met en place un système
d’accès aux preuves sous le contrôle strict du juge. Il est possible
pour le demandeur de demander l’accès aux preuves du défen
deur et des tiers et c’est le juge qui décide si la demande est
proportionnelle et si les preuves demandées sont pertinentes. Le
système est alors largement contrôlé par le juge. Il y a un progrès
important dans ce système : il n’est pas seulement possible de
demander des preuves spécifiques, mais aussi de demander des
catégories pertinentes de preuve. En ce moment, le plupart des
États membres demandent de spécifier chaque pièce dont on
veut obtenir l’accès (par exemple, il faut dire qu’on souhaite l’ac
cès à un e-mail, de telle personne à telle personne, à telle date, et
ayant tel contenu). En matière de concurrence, c’est souvent très
difficile car les demandeurs en actions en dommages et intérêts
ne savent pas exactement quelles pièces de preuves existent, car
l’infraction était secrète et ils n’étaient pas parties aux procédures
devant les autorités de concurrence. La directive permet aus
si de demander l’accès aux catégories pertinentes de preuves,
en spécifiant quelle catégorie. Par exemple, tous les e-mails sur
tel sujet entre telle et telle période. C’est beaucoup plus large
que ce qui existe actuellement dans les droits nationaux, c’est
un élément très important de la directive. Pour autant, il n’y a pas
de « fishing expeditions », qui consisterait à demander de façon
générale l’accès aux documents dont il est peu probable qu’ils
soient pertinents pour une action en dommages et intérêts car on
ne sait pas vraiment s’il y a un dommage, mais on veut voir tous
les éléments de preuve pour peut-être trouver quelque chose,
ceci n’est pas possible. L’article 8 de la directive prévoit des sanc
tions si les parties ne respectent pas un ordre du juge pour la
divulgation de preuves. S’il est possible de demander l’accès à
certaines preuves spécifiques, mais si le défendeur ne les produit
pas, il n’y a aucune conséquence négative, le système de divul
gation de preuves ne sera pas efficace. Pour cette raison, il est
important que le juge puisse imposer des sanctions en cas de
non-respect des ordres de divulgation de preuves, ou en cas de
destruction de preuves. Le deuxième élément relatif à la preuve
qui va profiter au demandeur est l’effet des décisions des auto
rités nationales de concurrence. L’article 9 permet d’éviter que
le défendeur puisse remettre en cause, devant le juge civil, une
décision de l’autorité nationale de concurrence qui est devenue
définitive. Le défendeur a eu, dans la procédure administrative
devant l’autorité, toutes les possibilités de se défendre, il a eu
la possibilité de faire appel devant les juridictions compétentes
contre la décision soit il n’a pas utilisé cette possibilité, soit la
décision de l’autorité nationale de concurrence a été confirmée
en appel, et il veut « relitiger » cette décision devant le juge ci
vil. La directive exclu cette possibilité par établir, dans l’article 9,
paragraphe 1, que s’il y a une décision définitive de l’autorité na
tionale de concurrence qui établit une infraction aux articles 101
et 102 du traité, cela constitue une preuve irréfragable de l’exis
tence de l’infraction devant le juge civil. Dans les considérants de
la directive, il est clarifié que l’existence de l’infraction n’est pas
seulement le fait qu’il y avait une infraction, mais aussi l’infraction
dans sa portée matérielle, temporelle, personnelle et géogra
phique. Ce qui a constitué l’infraction est aussi établi de manière
irréfragable devant le juge civil.
Dans le processus législatif, cette disposition de la directive a
été limitée: une décision de l’autorité nationale de concurrence
constitue seulement une preuve irréfragable devant les juridic
tions civiles du même État membre. Devant les juridictions d’un
autre État membre, une telle décision constitue, selon le deu
xième paragraphe de l’article 9, au moins une preuve prima fade
qu’il y avait une infraction, mail il y a une possibilité de contester
cette preuve. C’est au législateur national de déterminer s’il va
plus loin que ça et établit que devant ses juridictions, aussi les
décisions d’infraction des autorités nationales de concurrence
des autres État membres constituent une preuve irréfragable de
l’infraction. LAI)emagne et l’Autriche ont déjà une telle disposi
tion dans leur droit national.
Il y a aussi des décisions de l’autorité nationale de concurrence
qui n’établissent pas une infraction. Par exemple, une décision
d’engagements, qui établit qu’il y avait une préoccupation de
l’autorité nationale de concurrence qu’il y ait une infraction, mais
l’infraction n’a pas été établie car les préoccupations ont été ré
parées par les mesures proposées par les parties. Dans ces cas,
l’article 9 ne joue pas.
Je voudrais parler sur l’interaction du droit de la concurrence mis
en oeuvre par la sphère publique et par la sphère privée dans les
actions en dommages et intérêts.
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176 I RLC Numéro42 ]anver-Mars2O15
Il y a eu une jurisprudence de la Cour de justice dans les affaires
Pfleiderer et Donau chemie qui a établi que sut la divulgation
des documents de clémence, c’est normalement à chaque juge,
individuellement, sur la base du droit national et sur la base des
caractéristiques de l’affaire individuelle, de déterminer si, dans
une action en dommages et intérêts, il est possible de comman
der la divulgation de ces documents de clémence. Il doit mettre
en balance les intérêts du demandeur à l’action en dommages
et intérêts à obtenir la réparation et les intérêts de la mise en
oeuvre du droit de la concurrence par la sphère publique. li y
a primordialement l’incertitude juridique quant à la divulgation
dans desactions en dommages et intérêts des déclarations de
clémence.
Les déclarations de clémence sont des documents qui sont au
to-incriminants, ce sont des entreprises qui se présentent volon
tairement devant les autorités de concurrence, et qui aident beau
coup à découvrit et sanctionner des cartels, La grande majorité
des affaires de cartels devant la Commission sont commencées
par une demande de clémence. La possibilité de divulgation de
ces documents auto-incriminants lors des actions en dommages et
intérêts peut avoir un effet dissuasif important pour les entreprises
qui coopèrent avec les autorités de concurrence. Cela pourrait
mener à que moins applications de clémence sont reçues par les
autorités de concurrence, ce qui aurait un effet négatif sur l’effica
cité de la mise en oeuvre du droit de la concurrence par la sphère
publique.
C’est pour cette raison que, dans la directive, les documents de
l’autorité de la concurrence ont été divisés en trois catégories
— La liste noire ce sont les déclarations auto-incriminantes
dont j’ai parlé. Ces documents ne peuvent jamais être divul
gués dans les actions en dommages et intérêts. Pour éviter
l’abus de cette liste noire, il y a une disposition dans la di
rective prévoyant que les juges doivent vérifier que ce qui
est présenté comme une déclaration auto-incriminante l’est
réellement. Il a été commenté que l’arrêt Donau chemie in
terdit qu’il y ait une liste noire, une exclusion intégrale de
divulgation de certaines pièces de preuves dans les actions
en dommages et intérêts. Nous ne pensons pas que cela est
exact, car dans l’arrêt Donau chemie, il s’agissait d’une loi
autrichienne, disant que pour avoir accès à une pièce dans le
dossier de l’autorité nationale de concurrence autrichienne,
l’accord de chaque partie à la procédure était requis. Cela
rendait impossible au demander l’accès aux documents qui
étaient dans le dossier de l’autorité nationale de concurrence.
Dans ce contexte, la Cour de justice a dit qu’une prohibition
générale de tous les documents détenus par l’autorité natio
nale de concutrence n’est pas autorisée. Cela serait contraire
au principe selon lequel toute personne qui a subi un préju
dice peut en obtenir la réparation, car sans aucune pièce de
preuve ce serait impossible. La liste noir ne contient pas une
telle prohibition générale, mais exclut la divulgation de deux
catégories de documents spécifiées et de nature très spéci
fique. Outre cette distinction, la Cour de justice a insisté sur
le fait que l’arrêt a été prononcé en l’absence de législation
européenne sur le sujet.
— La liste grise : ce sont les documents qui peuvent être divul
gués seulement après que la Commission ou l’autorité natio
Numéro 421 Janvier - Mars 2015
nale a fermé la procédure, en prenant une décision ou non
(puisqu’il y a des autorités nationales qui ferment une procé
dure sans prendre de décision). Le but de cela est de protéger
l’investigation qui est encore en cours.
— La liste blanche : ces documents peuvent être divulgués à tout
moment dans la procédure de dommages et intérêts, ce sont
toutes les informations préexistantes, tous les documents qui
existent indépendamment des investigations de l’autorité de
concurrence (toute correspondance entre les membres de car
tels, toute liste de prix, etc.).
Il y a d’autres mesures sur la divulgation des preuves qui sont dans
le dossier des autorités de la concurrence. La première mesure est
qu’on favorise la divulgation des preuves entre les parties à la pro
cédure (et des autres tiers) sur la divulgation de preuves dans une
situation où le juge demande directement à l’autorité de concur
rence de lui donner certaines preuves. Il est seulement possible de
demander les preuves directement à l’autorité de concurrence s’il
n’est pas possible d’obtenir les mêmes preuves d’une autre partie
ou d’un tiers.
S’il y a une demande de divulgation de preuve qui est dans son
dossier, l’autorité de concurrence, de sa propre initiative, peut in
tervenir devant le juge national et donner son avis sur la propor
tionnalité de cette divulgation de preuves.
L’article? est une disposition miroir de l’article 6, car il indique que
s’il y a des parties qui ont obtenu l’accès à la preuve dans la pro
cédure publique devant l’autorité de concurrence, il y a aussi des
conditions pour l’utilisation de ces preuves dans la procédure de
dommages et intérêts pour avoir une vraie protection des docu
ments qui sont sur la liste noire et sur la liste grise.
Emmanueile CLAUDEL, Professeur, Université Paris-Ouest Nan
terre La Défense (Paris X) Je suis ravie d’être avec vous au
jourd’hui pour vous parler de cette délicate question de l’autorité
attachée à la décision de l’autorité de la concurrence, de la force
qu’elle peut avoir pour le juge.
Concernant la décision de l’autorité de concurrence comme
preuve, la clé de l’analyse se trouve à l’article 9 de la proposition de
directive. Madame Haasbeek vous l’a dit une décision de consta
tation de manquement devenue définitive vaudra preuve irréfra
9able d’infraction devant les juges civils.
Il faut noter qu’on a fait le choix, dans cette proposition de di
rective, de situer le débat sur le terrain de la preuve et de parler
en termes de force contraignante. Ce choix nous évite de nous
interroger sur le vocable « autorité de la chose jugée » / « autorité
de la chose décidée », qui est en débat en France et qui nous
embarrasse.
Lorsque l’on s’intéresse à la décision d’une autorité de concurrence
comme preuve, plusieurs éléments doivent être pris en considéra
tion. Le principal élément est le type de décision adoptée : est-ce
une décision qui établit l’infraction ? D’autres questions incidentes
vont se poser de qui émane la décision (autorité européenne ou
nationale) ? Sur quel fondement (européen ou national) la décision
a-t-elle été rendue ? Le litige est-il individuel ou collectif, la loi
Hamon du 17 mars 2014 n’étant pas sans incidence?
Je vais retenir comme ligne de démarcation le fait qu’une décision
constate ou non un manquement.
I
Perspectives
COLLOQU E
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RLC 1177
Les décisions constatant un manquement. Trois points sont à étu
dier t (1) Quelles sont les décisions concernées ? (2) Quelle est la
force attachée à ces décisions ? (3) Quels sont les éléments de la
décision qui s’imposent au juge ?
1) Quelles sont les décisions concernées?
Nous distinguerons trois types de décisions t les décisions répon
dant évidemment à la condition posée les décisions ne répon
dant pas à la condition posée les décisions s discutées ».
Les décisions constatant sans conteste un manquement. La pré
somption irréfragable de preuve vise toutes les décisions de
condamnation devenues définitives - qu’il y ait injonction ou sanc
tion pécuniaire - et ne mobilisant pas une s procédure négociée e
(ces décisions ne sont certes pas exclues mais seront traitées infra), que
ces décisions soient rendues t
— par la Commission européenne (la solution est constante en
raison du principe de primauté) ou
— par une Autorité nationale de concurrence (ANC) située dans
le même Etat que celui du juge saisi (cette solution est nou
velle pour la France). Nous reviendrons plus loin sur les déci
sions rendues par une ANC d’un autre Etat membre que celui
du juge saisi (voir infra étude de la force probante).
Se pose bien sûr la question de la force des décisions de condam
nation non encore définitives.
Les décisions ne constatant pas un manquement. On trouve tout
d’abord les décisions prononçant des mesures conservatoires.
On sait qu’en droit européen, la mesure conservatoire n’est su
bordonnée qu’au constat d’une infraction prima facie d’infraction
(RégI. 1/2003, art. 8). En France, elle suppose simplement que « les
faits dénoncés t...) apparaissent susceptibles, en l’état des élé
ments produits aux débats, de constituer une pratique contraire
aux articles L. 420-l ou L. 420-2 du code de commerce f...) s (Casa.
com., 8 nov. 2005, n° 07-21.275, BulI. civ. IV, n° 220). L’infraction n’est
donc pas véritablement caractérisée.
Il en est de même concernant les décisions acceptant des enga
gements. En droit européen, s la décision n’établit pas s’il y a eu
ou s’il y a toujours une infraction s (Communication sur les bonnes
pratiques, 20 oct. 2011, pt. 117). En France, on considère que l’évalua
tion préliminaire s ne constitue pas un acte d’accusation au sens
de l’article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de
l’Homme et des libertés fondamentales s car elle s n’a pas pour
objet de prouver la réalité et l’imputabilité d’infractions au droit
de la concurrence en vue de les sanctionner», contrairement à la
notification des griefs (Cass. com, 4 nov. 2008, n°07-21.275, BulI. civ. IV,
n° 188, et communiqué Aut. conc., 2mars 2009).
Les décisions discutées. Sont concernées les décisions rendues
dans le cadre de certaines procédures dites alternatives ou acces
soires t clémence, transaction, non contestation de griefs.
Commençons par les décisions rendues dans le cadre d’une procé
dure de clémence européenne ou française. Les concernant, il n’y
a en réalité pas de véritable débat (contra Molfessis N., L’exorbitante
action de groupe à la française, Dalloz 2014, p. 948-950) car les décla
rations en vue d’obtenir la clémence, que celle-ci soit totale ou
partielle, supposent une reconnaissance de culpabilité (Aut. conc.,
déc. n° 13-D-12, 28 mai 2013) t la décision, bien qu’elle accorde l’im
munité, même totale, constate incontestablement la culpabilité de
la / des entreprise(s).
Les décisions européennes de transaction )Le projet de loi Macron
propose d’introduire en France une procédure de transaction au lieu et
place de la procédure de non contestation des griefs. Carte proposition
a pour origine une proposition de loi sénatoriale déposée en 4août2014
mais qui ne tendait au départ qu’à ajouter cette procédure au dispositif
existant.) doivent faite l’objet d’une réponse plus nuancée. On doit
considérer qu’une force contraignante leur être attachée car la
transaction suppose s une reconnaissance en termes clairs et sans
équivoque, par les parties, de leur responsabilité dans l’infraction »
(Communication de la Commission relative aux procédures de transaction,
2juill. 2008, pt. 201 et ces décisions établissent clairement la partici
pation de l’entreprise au cartel. Il demeure que cette constatation
n’a été précédée d’aucun débat contradictoire et que ces déci
sions, par leur pauvreté analytique et leur absence de substance,
seront de peu d’utilité pour les victimes en dehors du constat d’in
fraction qu’elles recèlent.
Les décisions françaises fondées sur la non-contestation des
griefs sont également délicates. Si la renoncïation ne vaut pas
aveu de culpabilité, l’autorité considère qu’elle suffit à « fonder
un constat d’infraction » à l’égard de l’entreprise concernée (Aut.
conc., communiqué de procédure, 10 fév. 2012, relatif à la procédure
de non contestation de griefs, pt. 40) et ce point est approuvé par
ses juridictions de contrôle (CA Paris, 26 janv. 2010, Société Adecco
France et Casa. com,, 29mars2011, n° 10-1 2.91 3). En conséquence, le
constat d’infraction à son égard devrait lier le juge sans que le
défendeur puisse nier l’infraction ou son implication t il y a bien
preuve s irréfutable » au sens de la directive. Cela ne manque
pas de logique t on pourrait difficilement admettre que le « non
contestataire » dans un contentieux concurrence, puisse re
mettre en cause sa participation à l’infraction (et donc sa faute
civile) une fois devenu défendeur au civil son attitude contradic
toire pourrait lui être opposée (voir déjà dans le cadre d’un recours
contre la décision de l’Autorité : CA Paris, 29 mars 2012, Signalisation
routière). Il demeure qu’ici encore, un véritable débat contradic
toire a manqué sur l’existence de l’infraction et le principe de la
culpabilité. Et cette remarque vaut plus encore concernant les
entreprises qui auraient fait le choix de ne pas s’associer à cette
renonciation t la Cour de cassation considère en effet que, dès
l’instant que certains des protagonistes n’ont s remis en cause
ni la matérialité des faits, ni leur qualification juridique au regard
du droit de la concurrence, ni leur imputabilité, c’est à bon droit
que la cour d’appel a jugé que le Conseil avait justement déci
dé qu’en conséquence seule la question de la participation des
(autres sociétés) aux pratiques anticoncurrentielles reprochées
devait être discutée » )Cass. com., 29mars2011, préc.). La solution
d’assortir force contraignante aux décisions de l’autorité les
concernant peut donc susciter des réserves.
2) Quelle est la force attachée aux décisions constatant une in
fraction ?
Selon la directive, l’infraction doit être considérée comme « ji.aifu
tablement établie aux fins d’une action en dommages et intérêts».
I) existe incontestablement des arguments au soutien de cette so
lution t cette règle permet d’accroître la sécurité juridique, d’éviter
toute incohérence dans l’application de ces dispositions du trai
té, de renforcer l’efficacité des actions en dommages et intérêts
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178 RLC Numéro 421 Janvier - Mars 2015
Perspectives
COLLOQUE
et les économies de procédure dans ce domaine, et de stimuler
le fonctionnement du marché intérieur pour les entreprises et les
consommateurs (voir Prop, Dir., consid, 31).
Mais on peut aussi faire valoir qu’elle porte atteinte à l’indépen
dance institutionnelle des juridictions et transforme les juridic
tions en chambre d’enregistrement des décisions des autorités
de concurrence alors qu’elles ne sont pas au service des mêmes
intérêts (contentieux subjectif vs. contentieux objectif).
Par ailleurs, comment seront traitées les hypothèses délicates
telles que celle où l’illicéité de pratiques découle de leur effet
cumulatif ? Qu’en sera-t-il plus largement des hypothèses où
c’est la prise en compte du contexte (par exemple un marché
fermé par d’importantes barrières à l’entrée) qui justifie la prohi
bition ?
Une autre question peut se poser la présomption irréfragable
d’infraction vaut-elle présomption irréfragable de faute civile ?
C’est une chose d’affirmer que le juge doit tenir l’infraction pour
acquise ce peut en être une autre de considérer qu’il doit tenir
la faute civile pour acquise. S’interroger sur ce point revient à
poser la question de l’unicité de la faute concurrentielle et de
la faute civile. Nous avons en un temps soutenu cette unité, et
l’esprit de la loi semble bien la commander. Il suffit pour s’en
convaincre de se reporter à l’avis rendu par la Commission des
lois le 11juin 2013 (Doc AN ne 1123, p. 61). On peut y lire ceci « la
charge de la preuve pesant sur les associations (...) est considé
rablement allégée puisque le manquement t...) est réputé établi
I...) s. Et il est ajouté ceci « Seul le lien de causalité entre ce
manquement et les préjudices, ainsi que leur détermination,
resteront à définir». La démonstration de la faute ne serait donc
plus à faire.
On peut en outre s’arrêter sur le cas particulier de la force conférée
à une décision rendue par une autorité de concurrence relevant
d’un autre État membre que celui du juge saisi. Une distinction
doit alors être faite.
Dans le cadre d’un contentieux civil individuel, la directive prévoit
qu’une telle décision doit valoir » au moins entant que commence
ment de preuve du fait qu’une infraction au droit de la concurrence
a été commise » (art. 9.2). On peut se demander si la future loi fran
çaise de transposition retiendra cette solution.
On sait en effet que, dans le cadre d’une action collective en répa
ration, c’est une autre solution qui a été retenue par la loi Hamon.
L’article 1er de cette loi (C. consom., art. L. 423-17) prévoit en effet
ceci dans son alinéa 1 » f...) la responsabilité du professionnel
ne peut être prononcée dans le cadre de l’action mentionnée à
l’article L. 423-J que sur le fondement d’une décision prononcée
à l’encontre du professionnel par les autorités ou juridictions na
tionales ou de l’Union européenne compétentes. qui constate
les manquements et qui n’est plus susceptible de recours pour
la partie relative à l’établissement des manquements ». Et l’ali
néa 2 poursuit en ces termes « Dans ces cas, les manquements
du professionnel sont réputés établis de manière irréfragable pour
l’application de l’article L. 423-3 s. On voit donc qu’une présomp
tion irréfragable de manquement accompagne les décisions des
autorités de concurrence, qu’elles émanent de l’autorité française
ou d’une autorité étrangère. Est-il concevable que le législateur
français retienne une solution différente dans le cas d’un litige indi
viduel ? On peut en douter.
Pour notre part, il nous semble qu’il aurait suffi d’attacher une pré
somption simple aux décisions administratives constatant les in
fractions la victime aurait profité de cette présomption et n’aurait
donc pas eu à subir la charge de la preuve, sans qu’il soit abso
lument impossible, dans des hypothèses marginales, de remettre
dans le débat judiciaire la question de l’illicéité, et donc de la faute
civile, le risque de la preuve pesant sur le défendeur.
3) Quel est le champ de la force contraignante?
Le texte précise t « L’effet de la constatation ne devrait toutefois
porter que sur la nature de l’infraction ainsi que sur sa portée ma
térielle, personnelle, temporelle et territoriale telle qu’elle a été
relevée par l’autorité de concurrence ou l’instance de recours dans
l’exercice de sa compétence » lconsid. 31).
Mais le texte ne précise pas si cet effet sera seulement attaché au
dispositif de la décision ou à l’intégralité de ses développements
ou encore aux motifs (Dans un arrêt du 26novembre2013 (n° 12-27.456),
la chambre commerciale de la Cour de cassation invite, pour apprécier s’il
y a autorité de la chose jugée, à prendre en compte les « motifs [du] juge
ment, éclairant la portée de son dispositif») qui fondent le constat du
manquement (Le considérant 31 de la directive va plutôt en ce sens). La
loi Hamon est également silencieuse.
Il faut maintenant s’arrêter sur le cas des décisions ne constatant
pas une infraction.
Quelle est la force des décisions ne constatant pas une infrac
tion ? Une solution est commune à toutes ces décisions : elles se
ront sans force contraignante pour le juge éventuellement saisi.
Deux questions doivent être posées (1) quelles sont les décisions
concernées et 12) faut-il aller plus loin et bilatéraliser la solution
concernant la force contraignante?
1) Quelles sont les décisions concernées?
Une nouvelle distinction est à faire entre les décisions dépourvues
de force contraignante mais pouvant servir d’éléments de preuve
pour les victimes et celles pouvant éventuellement servir d’élé
ments de preuve pour le défendeur.
Les décisions dépourvues de force contraignante mais pouvant
servir d’éléments de preuve pour les victimes. Il s’agit des déci
sions acceptant des engagements et les décisions acceptant des
mesures conservatoires
— Les décisions acceptant des engagements. Il est dit que l’ac
ceptation d’engagement « ne saurait t...) interdire à l’une
des parties à la procédure d’engager une action en justice »
(Communiqué 10 févr. 2012 sur la procédure de non contestation des
griefs, préc., pt. 43). Il demeure que, aucune force contraignante
n’étant attachée à la décision administrative (voir supra), le juge
gardera toute liberté d’appréciation concernant les actions
menées consécutivement. La victime quant à elle ne pourra
certes pas se fonder sur un constat d’infraction (inexistant)
mais elle pourrait s’appuyer sur l’évaluation préliminaire, la
quelle pourrait valoir commencement de preuve. Il y a en effet
eu constat de s préoccupations de concurrence » (en France)
ou d’un s problème de concurrence>) (en droit européen).
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L’acceptation des engagements sera sans doute interprétée
par le juge comme de nature à faire disparaître toute situation
« d’illicéité > à l’aveni mais elle laisse intacte la question de la
validité des actes passés avant la décision — les engagements
n’ayant pas de portée rétroactive — et du préjudice ayant pu en
découler pour la vïctime. La situation de celle-ci est cependant
assez fragile.
— Les décisions accordant les mesures conservatoires. Elles
peuvent faire l’objet du même type d’analyse, en ce qu’elles
n’établissent pas l’illicéité mais reposent néanmoins sur un
constat prima facie d’infraction. Par ailleurs, il est rare que la
décision statuant au fond à la suite d’une décision conserva
toire qui n’a pas été jugée irrecevable ne retienne pas l’illicéité
des pratiques examinées... On pourrait donc admettre que
ces décisions constituent un commencement de preuve d’illi
céité et donc de faute civile, sans aller jusqu’à leur reconnaître
la force d’une présomption simple. Il est cependént probable
que le juge préfèrera surseoir à statuer dans l’attente que l’au
torité de concurrence se prononce au fond.
Les décisions pouvant éventuellement servir d’éléments de preuve
pour le défendeur. Il s’agit des décisions d’irrecevabilité, de rejet
et de non lieu. Cette catégorie est plus difficile à envisager car il
faut distinguer selon l’autorité qui la prononce, selon le fondement
sur lequel elle est prononcée (droit français ou européen) et selon
le motif de la décision.
Intéressons nous tout d’abord aux décisions de rejet prononcées
par la Commission européenne.
Il existe plusieurs motifs possibles au rejet. La communication sur
les bonnes pratiques publiée le 20 octobre 2011 (voir pt. 5.1 de la
communication) les énumère
—
e absence de motifs suffisants pour agir e (par ex. dispropor
tion des ressources à mobiliser comparée à la faible probabilité que
les infractions soient établies) : ce type de décisions nous semble
laisser le juge totalement libre de son appréciation
—
« défaut ou insuffisance de preuves » : ce type de décision ne
constituera pas nécessairement un obstacle si la victime est
capable se prévaloir d’autres preuves devant le juge civil
— e absence d’infraction e : dans ce cas, la solution est dictée par
l’article 16 du règlement 1/2003, qui énonce que « Lorsque les
juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions
ou des pratiques relevant de l’article 81 ou 82 du traité qui font
déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent
prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision
adoptée parla Commission. Elles doivent également éviter de
prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision
envisagée dans une procédure intentée par la Commission. À
cette fin, la juridiction nationale peut évaluer s’il est nécessaire
de suspendre sa procédure e. L’analyse de la Commission s’im
posera dès lors au juge.
Les décisions prononcées par l’autorité de la concurrence doivent
quant à elles être différenciées.
Les décisions d’irrecevabilité (C. com., art. L 462-8: saisine irrecevable
pour défaut d’intérêt à agi défaut de qualité, prescription ou incompé
tence) ne préjugent en rien de l’analyse du juge.
Les décisions de rejet au motif que e les faits invoqués ne sont
pas appuyés d’éléments suffisamment probants » (C. com.,
art. L. 462-8, al. 2) n’empêchent pas une saisine du juge. Si aucun
élément nouveau n’est présenté à celui-ci, l’analyse de l’Auto
rité de la concurrence l’influencera probablement, le rejet par
(‘Autorité supposant qu’il y a eu appréciation des éléments de
preuve (Cons. conc., déc. n°02-D-75, 17 déc. 2012). Si des éléments
nouveaux sont en revanche apportés, la décision de l’Autorité
sera sans influence (De même qu’une nouvelle saisine de l’Autorité
de la concurrence serait possible si elle était autrement étayée.). Les
décisions de rejet au motif qu’une autre autorité nationale de
concurrence ou que la Commission statue (C. com., art. L. 462-8,
al. 3) doivent également être examinées. Si la décisïon émane de
la Commission, se pose la question de l’opportunité d’un sursis
à statuer (facultatif).
Les décisions de non-lieu fondées sur l’article L. 464-6 du code de
commerce, c’est-à-dire fondée sur le constat « qu’aucune pratique
de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n’est éta
blie », n’empêchent pas l’action civile. Aucune force contraignante
ne leur étant attachée (faute de constat d’infraction), le juge garde
toute liberté d’appréciation. Il pourra en théorie considérer qu’il y
a faute civile. Il est cependant probable que la décision de non lieu
aura une influence sur son analyse et le défendeur à l’action civile
pourra à son tour invoquera décision de non lieu comme élément
de preuve.
Il faut cependant réserver l’hypothèse visée par l’arrêt Télé 2
Polska rendu en grande chambre le 3 mai 2011 (aff.C-37 5/09).
Rappelons que la Cour dénie aux autorités nationales (e droit
de déclarer qu’une pratique ne constitue pas une infraction au
droit de l’Union « (es constatations de l’absence de violation
de l’article 102 TFUE sont réservées à la Commission, même si
cet article est appliqué dans une procédure menée par une au
torité de concurrence nationale ». En conséquence, lorsqu’il y à
affectation du commerce entre Etats membres, l’autorité de la
concurrence ne peut plus prononcer un non lieu fondé sur les
articles 101 et 102 au motif qu’il n’y a pas d’infraction au droit
européen elle ne peut plus que constater que « sur la base des
informations dont elle dispose » il « n’y a plus lieu pour elle d’in
tervenir e. L’arrêt Télé 2 Polska ne concerne cependant que les
autorités de concurrence il ne concerne pas le juge qui est libre
de son appréciation.
Restent les décisions de non-lieu fondées sur l’article L. 464-6-1,
qui fonde la règle de minimis en droit national. Deux interpréta
tions sont possibles. On peut s’appuyer sur le fait qu’en France,
la règle de minimis est une règle de procédure et non une règle
de fond (Cass. com., 16 avr. 2013, n° 10-14.881, BulI. civ. IV, n° 64). Le
juge n’est pas lié par le non-lieu et il est libre de considérer la
faute civile caractérisée ou non. Si l’on accepte cependant que
les motifs de la décision de l’autorité constatant à l’existence de
l’infraction peuvent lier le juge indépendamment du dispositif de
la décision, ne pourrait-on pas considérer, à supposer que l’auto
rité ait statué positivement sur l’effet anticoncurrentiel avant de
conclure à son insuffisance, que le juge devrait considérer l’infrac
tion comme établie ?
Avant de clore nos développements, il reste un point à établir.
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Perspectives
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2) Faut-il bilatéraliser la solution et assortir également une force
contraignante aux décisions des autorités de concurrence ayant
constaté une absence d’infraction ?
Il existe des arguments au soutien de cette bilatéralisation dont ce
lui tenant au principe de l’égalité des armes entre le demandeur et
le défendeur au procès civil. À l’encontre de cette solution, on peut
en revanche faire valoir un argument téléologique l’objectif de la
directive est de faciliter l’action de la victime afin d’encourager les
actions en réparation. Il est donc normal qu’une facilité procédu
raIe lui soit reconnue et que celle-ci ne soit pas bilatéralisée. Par
ailleurs, l’absence de force contraignante attachée aux décisions
ne constatant pas d’infraction n’empêche pas les défendeurs de
les invoquer comme élément de preuve.
On le voit, toutes les questions ne sont pas épuisées.
Irène LUC, Magistrat à la Cour d’appel de Paris Je voudrais tout
d’abord vous remercier de m’avoir invitée à ce colloque, pour trai
ter d’un sujet qui a priori est académique, mais dont l’intérêt a été
me semble-t-il renouvelé, justement, par les derniers textes, dont
on a déjà parlé ce matin.
Le problème du fardeau de la preuve, qui repose sur le deman
deur, est particulièrement crucial en droit de la concurrence, car
obtenir des dommages-intérêts à la suite de pratiques anticoncur
rentielles est une tâche extrêmement difficile car il y a plusieurs
étages, et lorsque l’on porte directement cette action devant une
juridiction, tous ces étages doivent être franchis, y compris celui,
préliminaire, de l’établissement de la pratique anticoncurrentielle
(matérialité des faits, qualification des faits, appréciations écono
miques complexes, telles le marché pertinent, etc.). Cette tâche
est fort lourde, plus lourde en droit de la concurrence que dans un
certain nombre d’autres domaines dont je connais à la Cou à la
chambre 5-4, qui traite, notamment, des actions en réparation en
matière de droit de la concurrence, mais plus largement en droit
de la distribution. Je dirais que dans cette tâche, le plaignant/le
demandeur est aidé par le juge. Le fardeau de la preuve y est un
petit peu, pas totalement bien sûr, allégé par le juge, bien qu’on
soit, comme vous le savez tous, dans le cadre d’une procédure ac
cusatoire et non inquisitoire.
— la question de l’accès aux dossiers des autorités de concur
rence et enfin
— les mesures d’instruction.
Les grands principes de l’administration de la preuve
Je pense qu’il faut d’abord rappeler que, bien évidemment, le
plaignant doit apporter la preuve des faits qu’il allègue devant
les juridictions, sans aide particulière du juge, qui a une fonction
d’arbitre, c’est-à-dire de veiller au respect du contradictoire et au
respect de la loyauté dans l’administration de la preuve.
Ceci étant, le juge a deux grandes obligations qui ont été récem
ment rappelées par les chambres civiles de la Cour de cassation.
Numéro 421 Janvier - Mars 2015
Je rappellerai, à titre préliminaire, les grands principes qui inspirent
l’administration de la preuve dans le Code de procédure civile, et
je voudrais, ensuite, focaliser mon intervention sur trois points t
— les injonctions de production de pièces;
La première obligation du juge est de permettre aux plaideurs
d’accéder à la preuve. On considère qu’il y a un droit à la preuve,
et que le juge a l’obligation de faciliter la production des pièces.
Je pense à un arrêt de la première chambre civile de la Cour de
cassation, du 5avril2012, qui est emblématique, à cet égard. Dans
cet arrêt,la Cour de cassation a estimé que le juge devait concilier
ce principe général d’accès aux preuves avec les différents secrets
qui sont allégués devant lui, à savoir le secret des affaires, le secret
de la vie privée...
De même, les arrêts de la Cour de justice en matière d’accès aux
pièces de procédure de clémence des autorités de concurrence
ont également rappelé cette nécessaire mise en balance, par le
juge, du droit à l’accès aux preuves des victimes de pratiques an
ticoncurrentielles et d’intérêts antagonistes, tels, par exemple l’in
térêt légitime des autorités de concurrence à protéger l’attractivité
de leurs programmes de clémence.
En matière de droit de la concurrence, de façon générale, la Cour
de justice a rappelé que le juge avait le devoir d’assurer l’accès
aux preuves, au besoin en ordonnant les mesures d’instruction né
cessaires.
La deuxième grande obligation du juge, c’est l’obligation de cal
culer le préjudice, dès lors qu’il ressort des éléments qui lui sont
soumis que le principe d’un préjudice existe ; le juge ne peut se
retirer derrière le manque d’éléments versés aux débats par les
parties pour refuser d’évaluer ce préjudice.
1) J’en viens maintenant au premier point que je voulais aborder,
c’est le râle du juge dans la production des pièces. Bien évidem
ment, en règle générale, les parties apportent les pièces elles-
mêmes, mais dans bien des cas, en droit de la concurrence, elles
vont se heurter à la résistance de l’autre partie, qui n’a aucun in
térêt à faciliter le travail de son adversaire. Le plaignant peut alors
demander au juge d’enjoindre la production de pièces. Il y a un
certain nombre d’incidents de production de pièces qui sont cou
ramment soulevés devant le juge de la mise en état, et un certain
nombre de conditions doivent être satisfaites pour que cet accès
soit garanti par le juge.
Tout d’abord li faut que cette pièce ne soit pas déjà détenue par
le demandeur, comme cela est rappelé par l’article 138 du code
de procédure civile. li faut que ces pièces soient utiles à la solution
du litige, et c’est souvent là que le débat s’engage. Il faut ensuite
que ces pièces soient suffisamment identifiées. On ne demande
pas que les pièces soient énumérées une à une, mais la pratique
judiciaire admet qu’elles puissent être nommées par catégories,
dès lors que ces catégories suffisent à les identifier avec suffisam
ment de précision.
C’est un incident de procédure qui se déroule dans la majorité des
cas devant le juge de la mïse en état, mais qui peut également se
dérouler devant le juge du fond.
Je ne vais pas parler de la pré-constitution des preuves par le biais
du référé probatoire de l’article 145 du code de procédure civile,
mais je vais parler du recueil des preuves pendant le procès.
Dans bien des cas, la preuve est détenue par le défendeu et
le juge peut le contraindre à produire les pièces par une injonc
tion. Je rappelle que cette voie d’injonction n’existe, au regard de
l’ancienneté du Code civil, que depuis peu de temps, puisqu’elle
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n’existe que depuis 1972, et elle a consacré un râle un peu plus
important du juge dans la production des pièces.
Il résulte des dispositions du Code civil et du Code de procédure
civile qui ont été instaurées en 1972 que toute production forcée
d’une pièce suppose une demande de la part de l’une des parties,
car le juge ne peut d’office solliciter la production de pièces. Par ail
leurs, la production forcée ne peut être ordonnée que si la demande
est suffisamment précise, et à cet égard, lorsqu’il est demandé accès
à une pièce de l’Autorité de la concurrence ou de la Commission
européenne, ces pièces sont souvent énumérées dans la décision
statuant sur les pratiques anticoncurrentielles, avec suffisamment de
précision pour que la demande soit également précise. Elle doit êtrè
nécessaire à la résolution du litige, et le juge prend en compte la
protection des intérêts légitimes de celui qui détient cette pièce,
et notamment, etje voudrais insister sur ce point, sur l’intérêt de ce
détenteur de ne pas dévoiler des informations stratégiques. Il y a un
vide juridique en droit national, puisque si le secret des affaires est
garanti devant l’Autorité de la concurrence, le Code de procédure
civile ne prévoit pas de conditions spécifiques de protection du se
cret devant la cour d’appel ou devant le tribunal de commerce, ce
qui oblige le juge à créer des solutions aU hoc pour protéger ce se
cret. Le tribunal de commerce de Paris, je le rappelle, a mis en place
une solution extrêmement intéressante pour protéger le secret des
affaires, qu’il serait peut-être intéressant de codifier dans le Code
de procédure civile pour que toutes les juridictions disposent de ce
dispositif de protection du secret des affaires.
Pour conclure sur les injonctions, il n’existe pas de procédure gé
nérale de divulgation des pièces en procédure civile française, qui
soit équivalente à ta procédure de disclosure ou de discovery. Le
juge ne peut lui-même compléter le dossier des parties. Il faut que
les parties demandent avec suffisamment de précision les pièces
dont elles veulent faire état.
Une petite précision sur la procédure qui se déroule devant les
tribunaux de commerce elle permet au magistrat instructeur de
demander des pièces de manière beaucoup plus souple que ce
qui se passe devant les tribunaux de grande instance, ce qui fait
du magistrat consulaire un intervenant mieux armé que le juge du
tribunal de grande instance qui ne dispose pas de la même sou
plesse procédurale et qui doit attendre que les parties lui fassent
la demande de pièces.
2) Je vais parler brièvement du cas des pièces détenues par les au
torités de concurrence. Je me situe donc ici dans le cas où l’affaire
a déjà été soumise à l’autorité de la concurrence et où la pratique
a été sanctionnée.
Premier cas de figure t la victime est plaignante devant l’Autorité
de la concurrence, et elle a alors accès au dossier de l’Autorité (ce
qui n’est pas le cas devant la Commission européenne). Il n’y a pas
d’objection majeure à ce que cette victime produise ces pièces
lorsqu’elle entend, devant les juridictions civiles, obtenir des dom
mages et intérêts, bien évidemment sous réserve de la mise en
balance des secrets protégés (préservation du secret des affaires).
S’agissant des tiers à la procédure devant l’Autorité, ils n’ont pas
un accès direct aux pièces, carje rappelle que depuis 2012, les dos
siers de l’Autorité ne relèvent pas de la loi d’accès aux documents
administratifs, la loi CADA. Donc si, par exemple, une association
de consommateurs qui dispose d’une décision de l’Autorité, qui
est tiers à la procédure, veut accéder aux pièces du dossier, elle ne
le peut que dans le cadre de l’alinéa 2 de l’article L. 462-3 du code
de commerce, et donc elle n’a d’autre choix que de demander les
pièces au juge, qui, lui, a la faculté de les demander à l’Autorité.
C’est bien une demande, et pas une injonction.
La question qui pourraït se poser est, au regard d’une interdiction
générale de communiquer qui est posée par cet article pour les
pièces des dossiers de clémence, de savoir si le juge pourrait, dans
certaines hypothèses, faire usage de son pouvoir d’injonction pour
contraindre l’Autorité à communiquer certaines pièces du dossier
de clémence en vertu de la jurisprudence Donau/Pfleiderer. Celle-ci
exige en effet que le juge mette en balance, dans chaque affaire,
l’intérêt pour la victime d’obtenir des pièces et, de l’autre côté, la
nécessaire préservation des programmes de clémence des autorités
de concurrence. On peut penser que le juge pourrait éventuelle
ment faire usage de son pouvoir d’injonction dans cette hypothèse.
S’agïssant de l’accès aux pièces de la Commission, les plaignants
n’ont pas le statut de parties devant la Commission et donc pas
d’accès au dossier, mis à part la version non confidentielle de la
notification de griefs. Les tiers peuvent avoir accès, directement
dans certains cas, aux dossiers de la Commission dans le cadre du
règlement n° 1049/2001 (RègI. Pari, et Cons. CE n° 1049/2001, 30 mai
2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen,
du Conseil et de la Commission). La Commission ne peut opposer
un refus pur et simple d’accès à ces pièces, mais doit justifier ses
refus par les exceptions qui sont prévues dans ce règlement. Il
faut également rappeler qu’en vertu de l’article 15 du règlement
n° 1/2003 (RègI. Cons. CE n° 1/2003, 16 déc. 2002, relatif à la mise en
oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité), le
juge national peut demander à la Commission (cette fois c’est une
demande directe du juge à la Commission), de lui communiquer
des informations en sa possession. Cependant, la Commission
peut refuser de les communique si elle estime que la juridiction
ne protège pas suffisamment le secret professionnel. Il y a donc là
aussi cet élément fondamental de la protection du secret.
3) Je terminerai par les mesures d’instruction. La partie plaignante
a intérêt à produire sa propre expertise pour établir les preuves.
L’intérêt des expertises privées a été rappelé par la Cour de cas
sation dans un arrêt de chambre mixte du 28 septembre 2012 où
elle a souligné que dès lors qu’elles étaient soumises au principe
du contradictoire, les expertises privées pouvaient valoir à titre de
commencement de preuves devant être corroborées par d’autres
preuves (Cass. di. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18.710, BulI. ch. mixte, n°2).
Evidemment, le juge ne peut pas se fonder uniquement sur l’ex
pertise d’une partie, pour lui donner raison. Mais il ne faut pas pen
ser que ces expertises n’ont aucune valeur.
Face à plusieurs expertises contradictoires ou en l’absence d’ex
pertises privées, le juge peut être amené à diligenter une mesure
d’instruction, etje dirais que c’est presque une obligation pour lui
de le faire, car dès lors qu’il sait qu’il y a un préjudice, il faut qu’il
l’évalue.
Il s’agira le plus souvent d’une expertise judiciaire, car les alterna
tives aux expertises judiciaires sont assez peu nombreuses. On sait
que les juridictions peuvent demander l’avis de l’Autorité, mais on
ne peut pas non plus multiplier les demandes d’avis, et il faut les
cibler sur les dossiers exemplaires.
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I
j Perspectives
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L’expertise pourra porter tant sur la qualification des pratiques, dès
lors que le plaignant a donné des indices suffisamment probants,
mais elle pourra également, et le plus souvent, porter sur l’éva
luation des dommages. Le recours à l’expertise pose un certain
nombre de problèmes: d’abord où trouver les experts en matière
économique ? La liste de la cour d’appel ne comporte pas de
cabinets d’économistes mais plutôt des experts comptables : on
peut se demander s’il ne faudrait pas élargir aux cabinets d’écono
mistes. Ensuite, se pose le problème de la rédaction de la mission
de l’expert : on a dit ce matin que les actions de groupe seront
portées devant les TGI est-ce que les magistrats du tribunal de
grande instance ont l’expertise nécessaire, en matière de concur
rence, pour rédiger ces missions, qui doivent être suffisamment
détaillées.
Troisième problème : la longueur des opérations : on sait que l’ex
pertise dure très longtemps, et peut-être faudrait-il creuser la piste
des demandes de provision, à valoir sur les dommages et intérêts à
venir. Enfin, quatrième problème: le coût de ces expertises.
Pour conclure, je diraï que les outils procéduraux dont les juridic
tions disposent, comme le Président Canivet l’avait dit, en 2005,
sont adaptés mais leur application peut être améliorée. I
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(z
Table ronde n° 3: Le dommage
Table ronde présidée par Christophe CLARENC, Avocat à la Cour
+RLC 2721
Christophe CLARENC: Nous avons la chance d’avoir parmi nous
trois intervenants très attendus et complémentaires. Monsieur
Bruno Lasserre tout d’abord, Président de l’Autorité de la concur
rence, que nous sommes très heureux d’accueillir et impatients
d’entendre sur la question, sous ses différents aspects, de l’articu
lation entre l’action publique de l’Autorité, répressive, et l’action
privée réparatrice, consécutive notamment en matière d’action de
groupe. Vous disposerez, Monsieur le Président, d’un avantage
de temps de parole de 30 minutes, qui reflète les nombreuses
questions et les fortes attentes déjà exprimées tout au long de la
matinée. Nous entendrons ensuite Nicolas Molfessis, professeur
de droit privé à l’Université Paris Il, secrétaire général du Club des
juristes, que nous attendons avec grand intérêt dans son approche
civiliste de la question de la réparation des dommages concurren
tiels. Nous conclurons avec Martial Houlle, directeur des affaires
juridiques, réglementaires et institutionnelles du groupe Direct
Energie, fournisseur d’électricité et de gaz naturel. Nous le remer
cions d’autant plus de sa présence ce matin qu’il a la charge de
représenter les préoccupations des entreprises devant l’action de
groupe. Il nous proposera une série de réflexions sur l’équilibre du
procès, la médiation, les enjeux non seulement indemnitaires mais
également d’image, et l’assurance des risques.
Monsieur le Président, avant de vous céder la parole, je dois vous
dire que nous sommes très impatients d’avoir votre éclairage
sur deux questions soulevées par ‘objectif annoncé d’alléger la
charge de la preuve du dommage concurrentiel pour les actions
de groupe, qui interrogent sur l’autonomie du débat judiciaire et
l’équilibre du procès. La première question concerne la portée
de la décision d’infraction, et en particulier de ses imputations en
matière d’effets anticoncurrentiels et de dommage à l’économie,
et de ses éventuels éléments quantitatifs et contrefactuels à ce
titre, dans le régime de la preuve de la causalité et du quantum
du dommage allégué devant le juge en raison de cette infraction.
La seconde question concerne le rôle et l’intervention de l’Auto
rité dans e déroulement même du procès de l’action de groupe.
MLEX rapporte à cet égard que, dans une conférence donnée à
Luxembourg en juin dernier, vous auriez indiqué que l’Autorité
était préparée et prête à aider le juge dans la détermination du
montant des préjudices.
Bruno LASSERRE, Président de l’Autorité de la concurrence
Merci beaucoup. Je souhaiterais tout d’abord remercier I’APDC
de l’invitation qui m’a été transmise et à laquelle je réponds avec
beaucoup de plaisir, c’est un grand plaisir d’être avec vous ce ma
tin, sur ce sujet intéressant, stimulant, et riche de questions qui ne
sont pas toutes, heureusement, résolues.
Je voudrais revenir ce matin sur la vision de ‘Autorité en ce qui
concerne l’articulation entre l’action publique et l’action privée
et sur le bilan que nous pouvons à ce jour en faire notamment
au regard des deux avancées que représentent respectivement
l’adoption de la loi Hamon sur l’action de groupe, et la directive
sur les actions en réparation. S’agissant de ce dernier texte, il ap
paraît qu’il fait aujourd’hui l’objet d’un consensus politique et les
dernières discussions au sein du Conseil de l’Union européenne
font ressortir qu’il est suffisamment consensuel pour justifier une
adoption prochaine en tout cas il ne semble pas qu’il y ait au
sein de l’UE une minorité de blocage susceptible de s’opposer à
l’adoption de cette directive s’il est possible que l’Allemagne ou
la Pologne par exemple votent contre l’adoption de la directives
cela ne suffira pas en tout état de cause à faire obstacle à son
adoption. L’Autorité avait d’ailleurs été conduite à prendre parti
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Numéro 42 Janvier - Mars 2015 RLC 183

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  • 1. e procédure peuvent amener certaines parties à conclure des iccords sous la contrainte. la même façon que la perspective d’une procédure peut mc fer les comportements des acteurs, il y a une autre chose qui iodifie le comportement des entreprises, c’est la jurisprudence qui donne de la visibilité juridique. Et les accords négociés n’enri issent pas la jurisprudence. Or, la jurisprudence dans le domaine la concurrence est plutôt plus importante qu’ailleurs, donc il y a un petit bémol sur l’intérêt des solutions négociées. toraine DONNEDIEU de VABRES-TRANIÉ: Le débat a mis en xergue qu’il y a des problèmes de frontières entre action pu lique et action privée, mais qu’il nous appartient tous ensemble •Ç4 COLLOQUE de les résoudre, de telle sorte que la place de la France soit per çue dans ce domaine comme une place crédible et robuste en matière de private enforcement. Quant à l’appel lancé par Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Paris sur la modification de l’article 446-2 du code de procédure civile en matière de délais, je tenais, au nom de I’A.RD.C., à vous manifester notre soutien et à vous dire que nous allons inscrire cette question à un prochain conseil d’ad ministration. Nous sommes, en effet, favorables, en droit de la concurrence, à un traitement des dossiers compatibles avec la vie des affaires et aux conséquences en découlant sur le calendrier judiciaire. Soyez convaincu que I’A.RD.C. jouera son rôle plein et entier dans ce domaine. • able ronde n° 2: La question de la preuve able ronde présidée par Olivier FRÉGET, Avocat à la Cour -RLC 2720 livier FRÉGET: Deuxième temps de cette matinée, le sujet pra ue après le sujet important qui a été évoqué du rôle de la déci n dans l’action privée. On va entrer de plein pied sur la question « comment prouver? ». La preuve est évidemment la question tocédurale, pratique, et aussi théorique centrale. alement, l’action privée/action publique, on en parle depuis 15 et je me souviens d’un colloque se tenant en 2005 où, déjà, président Canivet disait « mais finalement le juge a tous les oyens pour faire de l’action privée ». Il ne les avait peut-être pas us finalement, puisque quand on voit le contenu de la directive, s’aperçoit qu’effectivement il y a pas mal de verrous à faire sau d’un point de vue de la gestion de la preuve, et c’est seulement n arrive à les faire sauter qu’on peut envisager d’avoir une ac n privée. tte table ronde, comme la précédente, respectera un équilibre tre action privée et action publique. Ce n’est pas seulement régime de l’action collective, c’est aussi celui de l’action mdi telle privée qui est modifiée par la directive. J’ai un panel au tir de moi à la fois prestigieux et compétent, l’immense chance te Madame Haasbeek de la Commission européenne vienne Us présenter la pièce, l’élément qui en matière de preuve peut Ire réellement bouger l’action privée, c’est-à-dire ce nouveau rejet de directive, qui traite des trois points qui nous occupent Ute la matinée à la fois la présomption irréfragable et l’action dehors d’une autorité de concurrence, et une action lorsqu’on ten follow-on. Je lui passerai dans quelques instants la parole OUr que nous ayons une présentation sur l’accès à la preuve tel Uméro 421 Janvier - Mats 2015 que demain la directive nous permettra de mieux l’organiser, puis nous aurons une intervention du Professeur Claudel qui revien dra sur la question de savoir jusqu’où va la présomption attachée à une décision, jusqu’où on a un « effacement du juge ». Pour laisser la parole en dernier au juge, ce sera Irène Luc pour une synthèse de ce que le juge peut faire pour permettre cette pro duction de la preuve. Luke HAASBEEK, Commission européenne(*i : Sur le calendrier d’adoption, les révisions linguistiques de la directive sont finies, donc l’adoption finale par le Conseil est planifiée pour l’automne 2014, et le délai de deux ans pour la transposition par les Etats membres pourra commencer. L’effet sur les actions en dommages et intérêts : il y a un droit qui émane directement du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne que toute personne qui a subi un préjudice à cause d’une infraction aux articles 101 et 102 du traité a le droit d’obtenir la réparation intégrale de son préjudice. Mais en pratique, c’est très difficile d’obtenir la réparation. Nous avons fait une recherche des actions en dommages et intérêts sur la base des décisions d’infractions qui ont été adoptées par la Commission entre 2008 et 2012, et nous avons trouvé que moins de 25% de ces décisions étaient suivies par des actions en dommages et intérêts. Cela veut (*) L’article reflète l’opinion de l’auteur et ne représente pas une position officielle de la Commission européenne ou de sa Direction générale de la concurrence. Perspectives > E cc G C > E cc a -4-, 4-, -c RLC 1175
  • 2. dire qu’il y a 75% des affaires dans laquelle la Commission a trouvé une infraction dans lesquelles il n’y a pas du tout eu d’action en dommages et intérêts. Aussi, la plupart des actions sont concen trées dans seulement trois États membres la Grande-Bretagne, l’Allemagne, et les Pays-Bas. Il y a des actions dans d’autres États membres, mais dans plus de 20 États membres il n’y a aucune ac tion en dommages et intérêts sur la base d’une infraction établie par la Commission. De plus, presque toutes les actions en dom mages et intérêts sont initiées par des grandes entreprises il n’y a presque aucune action émanant de consommateurs, ou de petites et moyennes entreprises, et nous n’avons constaté presque au cune action par les acheteurs indirects. Presque toutes les actions sont instituées par les acheteurs directs. Les problèmes relatifs à la preuve jouent un rôle très important dans ce défaut d’action en dommages et intérêts. Car normalement, il appartient au demandeur à l’action en dom mages et intérêts de prouver qu’il y a une infraction, qu’il a subi un préjudice, et qu’il y a un lien de causalité entre les deux. En droit de la concurrence, les preuves dont le demandeur a be soin ne sont pas en sa possession, puisqu’elles se trouvent chez l’entreprise qui e commis l’infraction, ou un tiers. La nature de l’in fraction, secrète et compliquée, fait qu’il y a une grande asymétrie de l’information, au désavantage du demandeur à l’action en dom mages et intérêts. De plus, maintenant, dans le droit national des États membres, il est très difficile d’obtenir l’accès aux preuves qu’on n’a pas en sa possession. Dans la directive, le législateur a essayé d’améliorer la situation du demandeur. Les articles 5 à 8 de la directive facilitent la position du deman deur quant à la preuve. Par ailleurs, il y a un deuxième but, qui est de faire une bonne balance entre d’un côté les actions en dom mages et intérêts et d’un autre côté la mise en oeuvre du droit de la concurrence par la sphère publique. Sur l’accès aux preuves la directive met en place un système d’accès aux preuves sous le contrôle strict du juge. Il est possible pour le demandeur de demander l’accès aux preuves du défen deur et des tiers et c’est le juge qui décide si la demande est proportionnelle et si les preuves demandées sont pertinentes. Le système est alors largement contrôlé par le juge. Il y a un progrès important dans ce système : il n’est pas seulement possible de demander des preuves spécifiques, mais aussi de demander des catégories pertinentes de preuve. En ce moment, le plupart des États membres demandent de spécifier chaque pièce dont on veut obtenir l’accès (par exemple, il faut dire qu’on souhaite l’ac cès à un e-mail, de telle personne à telle personne, à telle date, et ayant tel contenu). En matière de concurrence, c’est souvent très difficile car les demandeurs en actions en dommages et intérêts ne savent pas exactement quelles pièces de preuves existent, car l’infraction était secrète et ils n’étaient pas parties aux procédures devant les autorités de concurrence. La directive permet aus si de demander l’accès aux catégories pertinentes de preuves, en spécifiant quelle catégorie. Par exemple, tous les e-mails sur tel sujet entre telle et telle période. C’est beaucoup plus large que ce qui existe actuellement dans les droits nationaux, c’est un élément très important de la directive. Pour autant, il n’y a pas de « fishing expeditions », qui consisterait à demander de façon générale l’accès aux documents dont il est peu probable qu’ils soient pertinents pour une action en dommages et intérêts car on ne sait pas vraiment s’il y a un dommage, mais on veut voir tous les éléments de preuve pour peut-être trouver quelque chose, ceci n’est pas possible. L’article 8 de la directive prévoit des sanc tions si les parties ne respectent pas un ordre du juge pour la divulgation de preuves. S’il est possible de demander l’accès à certaines preuves spécifiques, mais si le défendeur ne les produit pas, il n’y a aucune conséquence négative, le système de divul gation de preuves ne sera pas efficace. Pour cette raison, il est important que le juge puisse imposer des sanctions en cas de non-respect des ordres de divulgation de preuves, ou en cas de destruction de preuves. Le deuxième élément relatif à la preuve qui va profiter au demandeur est l’effet des décisions des auto rités nationales de concurrence. L’article 9 permet d’éviter que le défendeur puisse remettre en cause, devant le juge civil, une décision de l’autorité nationale de concurrence qui est devenue définitive. Le défendeur a eu, dans la procédure administrative devant l’autorité, toutes les possibilités de se défendre, il a eu la possibilité de faire appel devant les juridictions compétentes contre la décision soit il n’a pas utilisé cette possibilité, soit la décision de l’autorité nationale de concurrence a été confirmée en appel, et il veut « relitiger » cette décision devant le juge ci vil. La directive exclu cette possibilité par établir, dans l’article 9, paragraphe 1, que s’il y a une décision définitive de l’autorité na tionale de concurrence qui établit une infraction aux articles 101 et 102 du traité, cela constitue une preuve irréfragable de l’exis tence de l’infraction devant le juge civil. Dans les considérants de la directive, il est clarifié que l’existence de l’infraction n’est pas seulement le fait qu’il y avait une infraction, mais aussi l’infraction dans sa portée matérielle, temporelle, personnelle et géogra phique. Ce qui a constitué l’infraction est aussi établi de manière irréfragable devant le juge civil. Dans le processus législatif, cette disposition de la directive a été limitée: une décision de l’autorité nationale de concurrence constitue seulement une preuve irréfragable devant les juridic tions civiles du même État membre. Devant les juridictions d’un autre État membre, une telle décision constitue, selon le deu xième paragraphe de l’article 9, au moins une preuve prima fade qu’il y avait une infraction, mail il y a une possibilité de contester cette preuve. C’est au législateur national de déterminer s’il va plus loin que ça et établit que devant ses juridictions, aussi les décisions d’infraction des autorités nationales de concurrence des autres État membres constituent une preuve irréfragable de l’infraction. LAI)emagne et l’Autriche ont déjà une telle disposi tion dans leur droit national. Il y a aussi des décisions de l’autorité nationale de concurrence qui n’établissent pas une infraction. Par exemple, une décision d’engagements, qui établit qu’il y avait une préoccupation de l’autorité nationale de concurrence qu’il y ait une infraction, mais l’infraction n’a pas été établie car les préoccupations ont été ré parées par les mesures proposées par les parties. Dans ces cas, l’article 9 ne joue pas. Je voudrais parler sur l’interaction du droit de la concurrence mis en oeuvre par la sphère publique et par la sphère privée dans les actions en dommages et intérêts. L.. E (o > E (O Q 4-, -c 176 I RLC Numéro42 ]anver-Mars2O15
  • 3. Il y a eu une jurisprudence de la Cour de justice dans les affaires Pfleiderer et Donau chemie qui a établi que sut la divulgation des documents de clémence, c’est normalement à chaque juge, individuellement, sur la base du droit national et sur la base des caractéristiques de l’affaire individuelle, de déterminer si, dans une action en dommages et intérêts, il est possible de comman der la divulgation de ces documents de clémence. Il doit mettre en balance les intérêts du demandeur à l’action en dommages et intérêts à obtenir la réparation et les intérêts de la mise en oeuvre du droit de la concurrence par la sphère publique. li y a primordialement l’incertitude juridique quant à la divulgation dans desactions en dommages et intérêts des déclarations de clémence. Les déclarations de clémence sont des documents qui sont au to-incriminants, ce sont des entreprises qui se présentent volon tairement devant les autorités de concurrence, et qui aident beau coup à découvrit et sanctionner des cartels, La grande majorité des affaires de cartels devant la Commission sont commencées par une demande de clémence. La possibilité de divulgation de ces documents auto-incriminants lors des actions en dommages et intérêts peut avoir un effet dissuasif important pour les entreprises qui coopèrent avec les autorités de concurrence. Cela pourrait mener à que moins applications de clémence sont reçues par les autorités de concurrence, ce qui aurait un effet négatif sur l’effica cité de la mise en oeuvre du droit de la concurrence par la sphère publique. C’est pour cette raison que, dans la directive, les documents de l’autorité de la concurrence ont été divisés en trois catégories — La liste noire ce sont les déclarations auto-incriminantes dont j’ai parlé. Ces documents ne peuvent jamais être divul gués dans les actions en dommages et intérêts. Pour éviter l’abus de cette liste noire, il y a une disposition dans la di rective prévoyant que les juges doivent vérifier que ce qui est présenté comme une déclaration auto-incriminante l’est réellement. Il a été commenté que l’arrêt Donau chemie in terdit qu’il y ait une liste noire, une exclusion intégrale de divulgation de certaines pièces de preuves dans les actions en dommages et intérêts. Nous ne pensons pas que cela est exact, car dans l’arrêt Donau chemie, il s’agissait d’une loi autrichienne, disant que pour avoir accès à une pièce dans le dossier de l’autorité nationale de concurrence autrichienne, l’accord de chaque partie à la procédure était requis. Cela rendait impossible au demander l’accès aux documents qui étaient dans le dossier de l’autorité nationale de concurrence. Dans ce contexte, la Cour de justice a dit qu’une prohibition générale de tous les documents détenus par l’autorité natio nale de concutrence n’est pas autorisée. Cela serait contraire au principe selon lequel toute personne qui a subi un préju dice peut en obtenir la réparation, car sans aucune pièce de preuve ce serait impossible. La liste noir ne contient pas une telle prohibition générale, mais exclut la divulgation de deux catégories de documents spécifiées et de nature très spéci fique. Outre cette distinction, la Cour de justice a insisté sur le fait que l’arrêt a été prononcé en l’absence de législation européenne sur le sujet. — La liste grise : ce sont les documents qui peuvent être divul gués seulement après que la Commission ou l’autorité natio Numéro 421 Janvier - Mars 2015 nale a fermé la procédure, en prenant une décision ou non (puisqu’il y a des autorités nationales qui ferment une procé dure sans prendre de décision). Le but de cela est de protéger l’investigation qui est encore en cours. — La liste blanche : ces documents peuvent être divulgués à tout moment dans la procédure de dommages et intérêts, ce sont toutes les informations préexistantes, tous les documents qui existent indépendamment des investigations de l’autorité de concurrence (toute correspondance entre les membres de car tels, toute liste de prix, etc.). Il y a d’autres mesures sur la divulgation des preuves qui sont dans le dossier des autorités de la concurrence. La première mesure est qu’on favorise la divulgation des preuves entre les parties à la pro cédure (et des autres tiers) sur la divulgation de preuves dans une situation où le juge demande directement à l’autorité de concur rence de lui donner certaines preuves. Il est seulement possible de demander les preuves directement à l’autorité de concurrence s’il n’est pas possible d’obtenir les mêmes preuves d’une autre partie ou d’un tiers. S’il y a une demande de divulgation de preuve qui est dans son dossier, l’autorité de concurrence, de sa propre initiative, peut in tervenir devant le juge national et donner son avis sur la propor tionnalité de cette divulgation de preuves. L’article? est une disposition miroir de l’article 6, car il indique que s’il y a des parties qui ont obtenu l’accès à la preuve dans la pro cédure publique devant l’autorité de concurrence, il y a aussi des conditions pour l’utilisation de ces preuves dans la procédure de dommages et intérêts pour avoir une vraie protection des docu ments qui sont sur la liste noire et sur la liste grise. Emmanueile CLAUDEL, Professeur, Université Paris-Ouest Nan terre La Défense (Paris X) Je suis ravie d’être avec vous au jourd’hui pour vous parler de cette délicate question de l’autorité attachée à la décision de l’autorité de la concurrence, de la force qu’elle peut avoir pour le juge. Concernant la décision de l’autorité de concurrence comme preuve, la clé de l’analyse se trouve à l’article 9 de la proposition de directive. Madame Haasbeek vous l’a dit une décision de consta tation de manquement devenue définitive vaudra preuve irréfra 9able d’infraction devant les juges civils. Il faut noter qu’on a fait le choix, dans cette proposition de di rective, de situer le débat sur le terrain de la preuve et de parler en termes de force contraignante. Ce choix nous évite de nous interroger sur le vocable « autorité de la chose jugée » / « autorité de la chose décidée », qui est en débat en France et qui nous embarrasse. Lorsque l’on s’intéresse à la décision d’une autorité de concurrence comme preuve, plusieurs éléments doivent être pris en considéra tion. Le principal élément est le type de décision adoptée : est-ce une décision qui établit l’infraction ? D’autres questions incidentes vont se poser de qui émane la décision (autorité européenne ou nationale) ? Sur quel fondement (européen ou national) la décision a-t-elle été rendue ? Le litige est-il individuel ou collectif, la loi Hamon du 17 mars 2014 n’étant pas sans incidence? Je vais retenir comme ligne de démarcation le fait qu’une décision constate ou non un manquement. I Perspectives COLLOQU E >‘ E (o wC > E (o D::: Q -c u RLC 1177
  • 4. Les décisions constatant un manquement. Trois points sont à étu dier t (1) Quelles sont les décisions concernées ? (2) Quelle est la force attachée à ces décisions ? (3) Quels sont les éléments de la décision qui s’imposent au juge ? 1) Quelles sont les décisions concernées? Nous distinguerons trois types de décisions t les décisions répon dant évidemment à la condition posée les décisions ne répon dant pas à la condition posée les décisions s discutées ». Les décisions constatant sans conteste un manquement. La pré somption irréfragable de preuve vise toutes les décisions de condamnation devenues définitives - qu’il y ait injonction ou sanc tion pécuniaire - et ne mobilisant pas une s procédure négociée e (ces décisions ne sont certes pas exclues mais seront traitées infra), que ces décisions soient rendues t — par la Commission européenne (la solution est constante en raison du principe de primauté) ou — par une Autorité nationale de concurrence (ANC) située dans le même Etat que celui du juge saisi (cette solution est nou velle pour la France). Nous reviendrons plus loin sur les déci sions rendues par une ANC d’un autre Etat membre que celui du juge saisi (voir infra étude de la force probante). Se pose bien sûr la question de la force des décisions de condam nation non encore définitives. Les décisions ne constatant pas un manquement. On trouve tout d’abord les décisions prononçant des mesures conservatoires. On sait qu’en droit européen, la mesure conservatoire n’est su bordonnée qu’au constat d’une infraction prima facie d’infraction (RégI. 1/2003, art. 8). En France, elle suppose simplement que « les faits dénoncés t...) apparaissent susceptibles, en l’état des élé ments produits aux débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-l ou L. 420-2 du code de commerce f...) s (Casa. com., 8 nov. 2005, n° 07-21.275, BulI. civ. IV, n° 220). L’infraction n’est donc pas véritablement caractérisée. Il en est de même concernant les décisions acceptant des enga gements. En droit européen, s la décision n’établit pas s’il y a eu ou s’il y a toujours une infraction s (Communication sur les bonnes pratiques, 20 oct. 2011, pt. 117). En France, on considère que l’évalua tion préliminaire s ne constitue pas un acte d’accusation au sens de l’article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales s car elle s n’a pas pour objet de prouver la réalité et l’imputabilité d’infractions au droit de la concurrence en vue de les sanctionner», contrairement à la notification des griefs (Cass. com, 4 nov. 2008, n°07-21.275, BulI. civ. IV, n° 188, et communiqué Aut. conc., 2mars 2009). Les décisions discutées. Sont concernées les décisions rendues dans le cadre de certaines procédures dites alternatives ou acces soires t clémence, transaction, non contestation de griefs. Commençons par les décisions rendues dans le cadre d’une procé dure de clémence européenne ou française. Les concernant, il n’y a en réalité pas de véritable débat (contra Molfessis N., L’exorbitante action de groupe à la française, Dalloz 2014, p. 948-950) car les décla rations en vue d’obtenir la clémence, que celle-ci soit totale ou partielle, supposent une reconnaissance de culpabilité (Aut. conc., déc. n° 13-D-12, 28 mai 2013) t la décision, bien qu’elle accorde l’im munité, même totale, constate incontestablement la culpabilité de la / des entreprise(s). Les décisions européennes de transaction )Le projet de loi Macron propose d’introduire en France une procédure de transaction au lieu et place de la procédure de non contestation des griefs. Carte proposition a pour origine une proposition de loi sénatoriale déposée en 4août2014 mais qui ne tendait au départ qu’à ajouter cette procédure au dispositif existant.) doivent faite l’objet d’une réponse plus nuancée. On doit considérer qu’une force contraignante leur être attachée car la transaction suppose s une reconnaissance en termes clairs et sans équivoque, par les parties, de leur responsabilité dans l’infraction » (Communication de la Commission relative aux procédures de transaction, 2juill. 2008, pt. 201 et ces décisions établissent clairement la partici pation de l’entreprise au cartel. Il demeure que cette constatation n’a été précédée d’aucun débat contradictoire et que ces déci sions, par leur pauvreté analytique et leur absence de substance, seront de peu d’utilité pour les victimes en dehors du constat d’in fraction qu’elles recèlent. Les décisions françaises fondées sur la non-contestation des griefs sont également délicates. Si la renoncïation ne vaut pas aveu de culpabilité, l’autorité considère qu’elle suffit à « fonder un constat d’infraction » à l’égard de l’entreprise concernée (Aut. conc., communiqué de procédure, 10 fév. 2012, relatif à la procédure de non contestation de griefs, pt. 40) et ce point est approuvé par ses juridictions de contrôle (CA Paris, 26 janv. 2010, Société Adecco France et Casa. com,, 29mars2011, n° 10-1 2.91 3). En conséquence, le constat d’infraction à son égard devrait lier le juge sans que le défendeur puisse nier l’infraction ou son implication t il y a bien preuve s irréfutable » au sens de la directive. Cela ne manque pas de logique t on pourrait difficilement admettre que le « non contestataire » dans un contentieux concurrence, puisse re mettre en cause sa participation à l’infraction (et donc sa faute civile) une fois devenu défendeur au civil son attitude contradic toire pourrait lui être opposée (voir déjà dans le cadre d’un recours contre la décision de l’Autorité : CA Paris, 29 mars 2012, Signalisation routière). Il demeure qu’ici encore, un véritable débat contradic toire a manqué sur l’existence de l’infraction et le principe de la culpabilité. Et cette remarque vaut plus encore concernant les entreprises qui auraient fait le choix de ne pas s’associer à cette renonciation t la Cour de cassation considère en effet que, dès l’instant que certains des protagonistes n’ont s remis en cause ni la matérialité des faits, ni leur qualification juridique au regard du droit de la concurrence, ni leur imputabilité, c’est à bon droit que la cour d’appel a jugé que le Conseil avait justement déci dé qu’en conséquence seule la question de la participation des (autres sociétés) aux pratiques anticoncurrentielles reprochées devait être discutée » )Cass. com., 29mars2011, préc.). La solution d’assortir force contraignante aux décisions de l’autorité les concernant peut donc susciter des réserves. 2) Quelle est la force attachée aux décisions constatant une in fraction ? Selon la directive, l’infraction doit être considérée comme « ji.aifu tablement établie aux fins d’une action en dommages et intérêts». I) existe incontestablement des arguments au soutien de cette so lution t cette règle permet d’accroître la sécurité juridique, d’éviter toute incohérence dans l’application de ces dispositions du trai té, de renforcer l’efficacité des actions en dommages et intérêts >, E (o G > E Q 4-, 4-, -c 178 RLC Numéro 421 Janvier - Mars 2015
  • 5. Perspectives COLLOQUE et les économies de procédure dans ce domaine, et de stimuler le fonctionnement du marché intérieur pour les entreprises et les consommateurs (voir Prop, Dir., consid, 31). Mais on peut aussi faire valoir qu’elle porte atteinte à l’indépen dance institutionnelle des juridictions et transforme les juridic tions en chambre d’enregistrement des décisions des autorités de concurrence alors qu’elles ne sont pas au service des mêmes intérêts (contentieux subjectif vs. contentieux objectif). Par ailleurs, comment seront traitées les hypothèses délicates telles que celle où l’illicéité de pratiques découle de leur effet cumulatif ? Qu’en sera-t-il plus largement des hypothèses où c’est la prise en compte du contexte (par exemple un marché fermé par d’importantes barrières à l’entrée) qui justifie la prohi bition ? Une autre question peut se poser la présomption irréfragable d’infraction vaut-elle présomption irréfragable de faute civile ? C’est une chose d’affirmer que le juge doit tenir l’infraction pour acquise ce peut en être une autre de considérer qu’il doit tenir la faute civile pour acquise. S’interroger sur ce point revient à poser la question de l’unicité de la faute concurrentielle et de la faute civile. Nous avons en un temps soutenu cette unité, et l’esprit de la loi semble bien la commander. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à l’avis rendu par la Commission des lois le 11juin 2013 (Doc AN ne 1123, p. 61). On peut y lire ceci « la charge de la preuve pesant sur les associations (...) est considé rablement allégée puisque le manquement t...) est réputé établi I...) s. Et il est ajouté ceci « Seul le lien de causalité entre ce manquement et les préjudices, ainsi que leur détermination, resteront à définir». La démonstration de la faute ne serait donc plus à faire. On peut en outre s’arrêter sur le cas particulier de la force conférée à une décision rendue par une autorité de concurrence relevant d’un autre État membre que celui du juge saisi. Une distinction doit alors être faite. Dans le cadre d’un contentieux civil individuel, la directive prévoit qu’une telle décision doit valoir » au moins entant que commence ment de preuve du fait qu’une infraction au droit de la concurrence a été commise » (art. 9.2). On peut se demander si la future loi fran çaise de transposition retiendra cette solution. On sait en effet que, dans le cadre d’une action collective en répa ration, c’est une autre solution qui a été retenue par la loi Hamon. L’article 1er de cette loi (C. consom., art. L. 423-17) prévoit en effet ceci dans son alinéa 1 » f...) la responsabilité du professionnel ne peut être prononcée dans le cadre de l’action mentionnée à l’article L. 423-J que sur le fondement d’une décision prononcée à l’encontre du professionnel par les autorités ou juridictions na tionales ou de l’Union européenne compétentes. qui constate les manquements et qui n’est plus susceptible de recours pour la partie relative à l’établissement des manquements ». Et l’ali néa 2 poursuit en ces termes « Dans ces cas, les manquements du professionnel sont réputés établis de manière irréfragable pour l’application de l’article L. 423-3 s. On voit donc qu’une présomp tion irréfragable de manquement accompagne les décisions des autorités de concurrence, qu’elles émanent de l’autorité française ou d’une autorité étrangère. Est-il concevable que le législateur français retienne une solution différente dans le cas d’un litige indi viduel ? On peut en douter. Pour notre part, il nous semble qu’il aurait suffi d’attacher une pré somption simple aux décisions administratives constatant les in fractions la victime aurait profité de cette présomption et n’aurait donc pas eu à subir la charge de la preuve, sans qu’il soit abso lument impossible, dans des hypothèses marginales, de remettre dans le débat judiciaire la question de l’illicéité, et donc de la faute civile, le risque de la preuve pesant sur le défendeur. 3) Quel est le champ de la force contraignante? Le texte précise t « L’effet de la constatation ne devrait toutefois porter que sur la nature de l’infraction ainsi que sur sa portée ma térielle, personnelle, temporelle et territoriale telle qu’elle a été relevée par l’autorité de concurrence ou l’instance de recours dans l’exercice de sa compétence » lconsid. 31). Mais le texte ne précise pas si cet effet sera seulement attaché au dispositif de la décision ou à l’intégralité de ses développements ou encore aux motifs (Dans un arrêt du 26novembre2013 (n° 12-27.456), la chambre commerciale de la Cour de cassation invite, pour apprécier s’il y a autorité de la chose jugée, à prendre en compte les « motifs [du] juge ment, éclairant la portée de son dispositif») qui fondent le constat du manquement (Le considérant 31 de la directive va plutôt en ce sens). La loi Hamon est également silencieuse. Il faut maintenant s’arrêter sur le cas des décisions ne constatant pas une infraction. Quelle est la force des décisions ne constatant pas une infrac tion ? Une solution est commune à toutes ces décisions : elles se ront sans force contraignante pour le juge éventuellement saisi. Deux questions doivent être posées (1) quelles sont les décisions concernées et 12) faut-il aller plus loin et bilatéraliser la solution concernant la force contraignante? 1) Quelles sont les décisions concernées? Une nouvelle distinction est à faire entre les décisions dépourvues de force contraignante mais pouvant servir d’éléments de preuve pour les victimes et celles pouvant éventuellement servir d’élé ments de preuve pour le défendeur. Les décisions dépourvues de force contraignante mais pouvant servir d’éléments de preuve pour les victimes. Il s’agit des déci sions acceptant des engagements et les décisions acceptant des mesures conservatoires — Les décisions acceptant des engagements. Il est dit que l’ac ceptation d’engagement « ne saurait t...) interdire à l’une des parties à la procédure d’engager une action en justice » (Communiqué 10 févr. 2012 sur la procédure de non contestation des griefs, préc., pt. 43). Il demeure que, aucune force contraignante n’étant attachée à la décision administrative (voir supra), le juge gardera toute liberté d’appréciation concernant les actions menées consécutivement. La victime quant à elle ne pourra certes pas se fonder sur un constat d’infraction (inexistant) mais elle pourrait s’appuyer sur l’évaluation préliminaire, la quelle pourrait valoir commencement de preuve. Il y a en effet eu constat de s préoccupations de concurrence » (en France) ou d’un s problème de concurrence>) (en droit européen). Numéro 421 Janvier - Mars 2015 RLC 179 L e > E (o o C > E (o Q -c Li I
  • 6. I L’acceptation des engagements sera sans doute interprétée par le juge comme de nature à faire disparaître toute situation « d’illicéité > à l’aveni mais elle laisse intacte la question de la validité des actes passés avant la décision — les engagements n’ayant pas de portée rétroactive — et du préjudice ayant pu en découler pour la vïctime. La situation de celle-ci est cependant assez fragile. — Les décisions accordant les mesures conservatoires. Elles peuvent faire l’objet du même type d’analyse, en ce qu’elles n’établissent pas l’illicéité mais reposent néanmoins sur un constat prima facie d’infraction. Par ailleurs, il est rare que la décision statuant au fond à la suite d’une décision conserva toire qui n’a pas été jugée irrecevable ne retienne pas l’illicéité des pratiques examinées... On pourrait donc admettre que ces décisions constituent un commencement de preuve d’illi céité et donc de faute civile, sans aller jusqu’à leur reconnaître la force d’une présomption simple. Il est cependént probable que le juge préfèrera surseoir à statuer dans l’attente que l’au torité de concurrence se prononce au fond. Les décisions pouvant éventuellement servir d’éléments de preuve pour le défendeur. Il s’agit des décisions d’irrecevabilité, de rejet et de non lieu. Cette catégorie est plus difficile à envisager car il faut distinguer selon l’autorité qui la prononce, selon le fondement sur lequel elle est prononcée (droit français ou européen) et selon le motif de la décision. Intéressons nous tout d’abord aux décisions de rejet prononcées par la Commission européenne. Il existe plusieurs motifs possibles au rejet. La communication sur les bonnes pratiques publiée le 20 octobre 2011 (voir pt. 5.1 de la communication) les énumère — e absence de motifs suffisants pour agir e (par ex. dispropor tion des ressources à mobiliser comparée à la faible probabilité que les infractions soient établies) : ce type de décisions nous semble laisser le juge totalement libre de son appréciation — « défaut ou insuffisance de preuves » : ce type de décision ne constituera pas nécessairement un obstacle si la victime est capable se prévaloir d’autres preuves devant le juge civil — e absence d’infraction e : dans ce cas, la solution est dictée par l’article 16 du règlement 1/2003, qui énonce que « Lorsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article 81 ou 82 du traité qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée parla Commission. Elles doivent également éviter de prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission. À cette fin, la juridiction nationale peut évaluer s’il est nécessaire de suspendre sa procédure e. L’analyse de la Commission s’im posera dès lors au juge. Les décisions prononcées par l’autorité de la concurrence doivent quant à elles être différenciées. Les décisions d’irrecevabilité (C. com., art. L 462-8: saisine irrecevable pour défaut d’intérêt à agi défaut de qualité, prescription ou incompé tence) ne préjugent en rien de l’analyse du juge. Les décisions de rejet au motif que e les faits invoqués ne sont pas appuyés d’éléments suffisamment probants » (C. com., art. L. 462-8, al. 2) n’empêchent pas une saisine du juge. Si aucun élément nouveau n’est présenté à celui-ci, l’analyse de l’Auto rité de la concurrence l’influencera probablement, le rejet par (‘Autorité supposant qu’il y a eu appréciation des éléments de preuve (Cons. conc., déc. n°02-D-75, 17 déc. 2012). Si des éléments nouveaux sont en revanche apportés, la décision de l’Autorité sera sans influence (De même qu’une nouvelle saisine de l’Autorité de la concurrence serait possible si elle était autrement étayée.). Les décisions de rejet au motif qu’une autre autorité nationale de concurrence ou que la Commission statue (C. com., art. L. 462-8, al. 3) doivent également être examinées. Si la décisïon émane de la Commission, se pose la question de l’opportunité d’un sursis à statuer (facultatif). Les décisions de non-lieu fondées sur l’article L. 464-6 du code de commerce, c’est-à-dire fondée sur le constat « qu’aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n’est éta blie », n’empêchent pas l’action civile. Aucune force contraignante ne leur étant attachée (faute de constat d’infraction), le juge garde toute liberté d’appréciation. Il pourra en théorie considérer qu’il y a faute civile. Il est cependant probable que la décision de non lieu aura une influence sur son analyse et le défendeur à l’action civile pourra à son tour invoquera décision de non lieu comme élément de preuve. Il faut cependant réserver l’hypothèse visée par l’arrêt Télé 2 Polska rendu en grande chambre le 3 mai 2011 (aff.C-37 5/09). Rappelons que la Cour dénie aux autorités nationales (e droit de déclarer qu’une pratique ne constitue pas une infraction au droit de l’Union « (es constatations de l’absence de violation de l’article 102 TFUE sont réservées à la Commission, même si cet article est appliqué dans une procédure menée par une au torité de concurrence nationale ». En conséquence, lorsqu’il y à affectation du commerce entre Etats membres, l’autorité de la concurrence ne peut plus prononcer un non lieu fondé sur les articles 101 et 102 au motif qu’il n’y a pas d’infraction au droit européen elle ne peut plus que constater que « sur la base des informations dont elle dispose » il « n’y a plus lieu pour elle d’in tervenir e. L’arrêt Télé 2 Polska ne concerne cependant que les autorités de concurrence il ne concerne pas le juge qui est libre de son appréciation. Restent les décisions de non-lieu fondées sur l’article L. 464-6-1, qui fonde la règle de minimis en droit national. Deux interpréta tions sont possibles. On peut s’appuyer sur le fait qu’en France, la règle de minimis est une règle de procédure et non une règle de fond (Cass. com., 16 avr. 2013, n° 10-14.881, BulI. civ. IV, n° 64). Le juge n’est pas lié par le non-lieu et il est libre de considérer la faute civile caractérisée ou non. Si l’on accepte cependant que les motifs de la décision de l’autorité constatant à l’existence de l’infraction peuvent lier le juge indépendamment du dispositif de la décision, ne pourrait-on pas considérer, à supposer que l’auto rité ait statué positivement sur l’effet anticoncurrentiel avant de conclure à son insuffisance, que le juge devrait considérer l’infrac tion comme établie ? Avant de clore nos développements, il reste un point à établir. > E ro aS C > E ro Q 4-’ 4-’ -C 180 I RLC Numéro42 Janvier-Mars2Ol5
  • 7. Perspectives COLLOQUE 2) Faut-il bilatéraliser la solution et assortir également une force contraignante aux décisions des autorités de concurrence ayant constaté une absence d’infraction ? Il existe des arguments au soutien de cette bilatéralisation dont ce lui tenant au principe de l’égalité des armes entre le demandeur et le défendeur au procès civil. À l’encontre de cette solution, on peut en revanche faire valoir un argument téléologique l’objectif de la directive est de faciliter l’action de la victime afin d’encourager les actions en réparation. Il est donc normal qu’une facilité procédu raIe lui soit reconnue et que celle-ci ne soit pas bilatéralisée. Par ailleurs, l’absence de force contraignante attachée aux décisions ne constatant pas d’infraction n’empêche pas les défendeurs de les invoquer comme élément de preuve. On le voit, toutes les questions ne sont pas épuisées. Irène LUC, Magistrat à la Cour d’appel de Paris Je voudrais tout d’abord vous remercier de m’avoir invitée à ce colloque, pour trai ter d’un sujet qui a priori est académique, mais dont l’intérêt a été me semble-t-il renouvelé, justement, par les derniers textes, dont on a déjà parlé ce matin. Le problème du fardeau de la preuve, qui repose sur le deman deur, est particulièrement crucial en droit de la concurrence, car obtenir des dommages-intérêts à la suite de pratiques anticoncur rentielles est une tâche extrêmement difficile car il y a plusieurs étages, et lorsque l’on porte directement cette action devant une juridiction, tous ces étages doivent être franchis, y compris celui, préliminaire, de l’établissement de la pratique anticoncurrentielle (matérialité des faits, qualification des faits, appréciations écono miques complexes, telles le marché pertinent, etc.). Cette tâche est fort lourde, plus lourde en droit de la concurrence que dans un certain nombre d’autres domaines dont je connais à la Cou à la chambre 5-4, qui traite, notamment, des actions en réparation en matière de droit de la concurrence, mais plus largement en droit de la distribution. Je dirais que dans cette tâche, le plaignant/le demandeur est aidé par le juge. Le fardeau de la preuve y est un petit peu, pas totalement bien sûr, allégé par le juge, bien qu’on soit, comme vous le savez tous, dans le cadre d’une procédure ac cusatoire et non inquisitoire. — la question de l’accès aux dossiers des autorités de concur rence et enfin — les mesures d’instruction. Les grands principes de l’administration de la preuve Je pense qu’il faut d’abord rappeler que, bien évidemment, le plaignant doit apporter la preuve des faits qu’il allègue devant les juridictions, sans aide particulière du juge, qui a une fonction d’arbitre, c’est-à-dire de veiller au respect du contradictoire et au respect de la loyauté dans l’administration de la preuve. Ceci étant, le juge a deux grandes obligations qui ont été récem ment rappelées par les chambres civiles de la Cour de cassation. Numéro 421 Janvier - Mars 2015 Je rappellerai, à titre préliminaire, les grands principes qui inspirent l’administration de la preuve dans le Code de procédure civile, et je voudrais, ensuite, focaliser mon intervention sur trois points t — les injonctions de production de pièces; La première obligation du juge est de permettre aux plaideurs d’accéder à la preuve. On considère qu’il y a un droit à la preuve, et que le juge a l’obligation de faciliter la production des pièces. Je pense à un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, du 5avril2012, qui est emblématique, à cet égard. Dans cet arrêt,la Cour de cassation a estimé que le juge devait concilier ce principe général d’accès aux preuves avec les différents secrets qui sont allégués devant lui, à savoir le secret des affaires, le secret de la vie privée... De même, les arrêts de la Cour de justice en matière d’accès aux pièces de procédure de clémence des autorités de concurrence ont également rappelé cette nécessaire mise en balance, par le juge, du droit à l’accès aux preuves des victimes de pratiques an ticoncurrentielles et d’intérêts antagonistes, tels, par exemple l’in térêt légitime des autorités de concurrence à protéger l’attractivité de leurs programmes de clémence. En matière de droit de la concurrence, de façon générale, la Cour de justice a rappelé que le juge avait le devoir d’assurer l’accès aux preuves, au besoin en ordonnant les mesures d’instruction né cessaires. La deuxième grande obligation du juge, c’est l’obligation de cal culer le préjudice, dès lors qu’il ressort des éléments qui lui sont soumis que le principe d’un préjudice existe ; le juge ne peut se retirer derrière le manque d’éléments versés aux débats par les parties pour refuser d’évaluer ce préjudice. 1) J’en viens maintenant au premier point que je voulais aborder, c’est le râle du juge dans la production des pièces. Bien évidem ment, en règle générale, les parties apportent les pièces elles- mêmes, mais dans bien des cas, en droit de la concurrence, elles vont se heurter à la résistance de l’autre partie, qui n’a aucun in térêt à faciliter le travail de son adversaire. Le plaignant peut alors demander au juge d’enjoindre la production de pièces. Il y a un certain nombre d’incidents de production de pièces qui sont cou ramment soulevés devant le juge de la mise en état, et un certain nombre de conditions doivent être satisfaites pour que cet accès soit garanti par le juge. Tout d’abord li faut que cette pièce ne soit pas déjà détenue par le demandeur, comme cela est rappelé par l’article 138 du code de procédure civile. li faut que ces pièces soient utiles à la solution du litige, et c’est souvent là que le débat s’engage. Il faut ensuite que ces pièces soient suffisamment identifiées. On ne demande pas que les pièces soient énumérées une à une, mais la pratique judiciaire admet qu’elles puissent être nommées par catégories, dès lors que ces catégories suffisent à les identifier avec suffisam ment de précision. C’est un incident de procédure qui se déroule dans la majorité des cas devant le juge de la mïse en état, mais qui peut également se dérouler devant le juge du fond. Je ne vais pas parler de la pré-constitution des preuves par le biais du référé probatoire de l’article 145 du code de procédure civile, mais je vais parler du recueil des preuves pendant le procès. Dans bien des cas, la preuve est détenue par le défendeu et le juge peut le contraindre à produire les pièces par une injonc tion. Je rappelle que cette voie d’injonction n’existe, au regard de l’ancienneté du Code civil, que depuis peu de temps, puisqu’elle ç >, E (o ci C > E Q -C RLC 1181
  • 8. n’existe que depuis 1972, et elle a consacré un râle un peu plus important du juge dans la production des pièces. Il résulte des dispositions du Code civil et du Code de procédure civile qui ont été instaurées en 1972 que toute production forcée d’une pièce suppose une demande de la part de l’une des parties, car le juge ne peut d’office solliciter la production de pièces. Par ail leurs, la production forcée ne peut être ordonnée que si la demande est suffisamment précise, et à cet égard, lorsqu’il est demandé accès à une pièce de l’Autorité de la concurrence ou de la Commission européenne, ces pièces sont souvent énumérées dans la décision statuant sur les pratiques anticoncurrentielles, avec suffisamment de précision pour que la demande soit également précise. Elle doit êtrè nécessaire à la résolution du litige, et le juge prend en compte la protection des intérêts légitimes de celui qui détient cette pièce, et notamment, etje voudrais insister sur ce point, sur l’intérêt de ce détenteur de ne pas dévoiler des informations stratégiques. Il y a un vide juridique en droit national, puisque si le secret des affaires est garanti devant l’Autorité de la concurrence, le Code de procédure civile ne prévoit pas de conditions spécifiques de protection du se cret devant la cour d’appel ou devant le tribunal de commerce, ce qui oblige le juge à créer des solutions aU hoc pour protéger ce se cret. Le tribunal de commerce de Paris, je le rappelle, a mis en place une solution extrêmement intéressante pour protéger le secret des affaires, qu’il serait peut-être intéressant de codifier dans le Code de procédure civile pour que toutes les juridictions disposent de ce dispositif de protection du secret des affaires. Pour conclure sur les injonctions, il n’existe pas de procédure gé nérale de divulgation des pièces en procédure civile française, qui soit équivalente à ta procédure de disclosure ou de discovery. Le juge ne peut lui-même compléter le dossier des parties. Il faut que les parties demandent avec suffisamment de précision les pièces dont elles veulent faire état. Une petite précision sur la procédure qui se déroule devant les tribunaux de commerce elle permet au magistrat instructeur de demander des pièces de manière beaucoup plus souple que ce qui se passe devant les tribunaux de grande instance, ce qui fait du magistrat consulaire un intervenant mieux armé que le juge du tribunal de grande instance qui ne dispose pas de la même sou plesse procédurale et qui doit attendre que les parties lui fassent la demande de pièces. 2) Je vais parler brièvement du cas des pièces détenues par les au torités de concurrence. Je me situe donc ici dans le cas où l’affaire a déjà été soumise à l’autorité de la concurrence et où la pratique a été sanctionnée. Premier cas de figure t la victime est plaignante devant l’Autorité de la concurrence, et elle a alors accès au dossier de l’Autorité (ce qui n’est pas le cas devant la Commission européenne). Il n’y a pas d’objection majeure à ce que cette victime produise ces pièces lorsqu’elle entend, devant les juridictions civiles, obtenir des dom mages et intérêts, bien évidemment sous réserve de la mise en balance des secrets protégés (préservation du secret des affaires). S’agissant des tiers à la procédure devant l’Autorité, ils n’ont pas un accès direct aux pièces, carje rappelle que depuis 2012, les dos siers de l’Autorité ne relèvent pas de la loi d’accès aux documents administratifs, la loi CADA. Donc si, par exemple, une association de consommateurs qui dispose d’une décision de l’Autorité, qui est tiers à la procédure, veut accéder aux pièces du dossier, elle ne le peut que dans le cadre de l’alinéa 2 de l’article L. 462-3 du code de commerce, et donc elle n’a d’autre choix que de demander les pièces au juge, qui, lui, a la faculté de les demander à l’Autorité. C’est bien une demande, et pas une injonction. La question qui pourraït se poser est, au regard d’une interdiction générale de communiquer qui est posée par cet article pour les pièces des dossiers de clémence, de savoir si le juge pourrait, dans certaines hypothèses, faire usage de son pouvoir d’injonction pour contraindre l’Autorité à communiquer certaines pièces du dossier de clémence en vertu de la jurisprudence Donau/Pfleiderer. Celle-ci exige en effet que le juge mette en balance, dans chaque affaire, l’intérêt pour la victime d’obtenir des pièces et, de l’autre côté, la nécessaire préservation des programmes de clémence des autorités de concurrence. On peut penser que le juge pourrait éventuelle ment faire usage de son pouvoir d’injonction dans cette hypothèse. S’agïssant de l’accès aux pièces de la Commission, les plaignants n’ont pas le statut de parties devant la Commission et donc pas d’accès au dossier, mis à part la version non confidentielle de la notification de griefs. Les tiers peuvent avoir accès, directement dans certains cas, aux dossiers de la Commission dans le cadre du règlement n° 1049/2001 (RègI. Pari, et Cons. CE n° 1049/2001, 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission). La Commission ne peut opposer un refus pur et simple d’accès à ces pièces, mais doit justifier ses refus par les exceptions qui sont prévues dans ce règlement. Il faut également rappeler qu’en vertu de l’article 15 du règlement n° 1/2003 (RègI. Cons. CE n° 1/2003, 16 déc. 2002, relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité), le juge national peut demander à la Commission (cette fois c’est une demande directe du juge à la Commission), de lui communiquer des informations en sa possession. Cependant, la Commission peut refuser de les communique si elle estime que la juridiction ne protège pas suffisamment le secret professionnel. Il y a donc là aussi cet élément fondamental de la protection du secret. 3) Je terminerai par les mesures d’instruction. La partie plaignante a intérêt à produire sa propre expertise pour établir les preuves. L’intérêt des expertises privées a été rappelé par la Cour de cas sation dans un arrêt de chambre mixte du 28 septembre 2012 où elle a souligné que dès lors qu’elles étaient soumises au principe du contradictoire, les expertises privées pouvaient valoir à titre de commencement de preuves devant être corroborées par d’autres preuves (Cass. di. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18.710, BulI. ch. mixte, n°2). Evidemment, le juge ne peut pas se fonder uniquement sur l’ex pertise d’une partie, pour lui donner raison. Mais il ne faut pas pen ser que ces expertises n’ont aucune valeur. Face à plusieurs expertises contradictoires ou en l’absence d’ex pertises privées, le juge peut être amené à diligenter une mesure d’instruction, etje dirais que c’est presque une obligation pour lui de le faire, car dès lors qu’il sait qu’il y a un préjudice, il faut qu’il l’évalue. Il s’agira le plus souvent d’une expertise judiciaire, car les alterna tives aux expertises judiciaires sont assez peu nombreuses. On sait que les juridictions peuvent demander l’avis de l’Autorité, mais on ne peut pas non plus multiplier les demandes d’avis, et il faut les cibler sur les dossiers exemplaires. E ŒS C > E ro ci -c u 182 RLC Numéro 421 Janvier - Mars 2015 I
  • 9. j Perspectives COLLOQU E L’expertise pourra porter tant sur la qualification des pratiques, dès lors que le plaignant a donné des indices suffisamment probants, mais elle pourra également, et le plus souvent, porter sur l’éva luation des dommages. Le recours à l’expertise pose un certain nombre de problèmes: d’abord où trouver les experts en matière économique ? La liste de la cour d’appel ne comporte pas de cabinets d’économistes mais plutôt des experts comptables : on peut se demander s’il ne faudrait pas élargir aux cabinets d’écono mistes. Ensuite, se pose le problème de la rédaction de la mission de l’expert : on a dit ce matin que les actions de groupe seront portées devant les TGI est-ce que les magistrats du tribunal de grande instance ont l’expertise nécessaire, en matière de concur rence, pour rédiger ces missions, qui doivent être suffisamment détaillées. Troisième problème : la longueur des opérations : on sait que l’ex pertise dure très longtemps, et peut-être faudrait-il creuser la piste des demandes de provision, à valoir sur les dommages et intérêts à venir. Enfin, quatrième problème: le coût de ces expertises. Pour conclure, je diraï que les outils procéduraux dont les juridic tions disposent, comme le Président Canivet l’avait dit, en 2005, sont adaptés mais leur application peut être améliorée. I L E (z Table ronde n° 3: Le dommage Table ronde présidée par Christophe CLARENC, Avocat à la Cour +RLC 2721 Christophe CLARENC: Nous avons la chance d’avoir parmi nous trois intervenants très attendus et complémentaires. Monsieur Bruno Lasserre tout d’abord, Président de l’Autorité de la concur rence, que nous sommes très heureux d’accueillir et impatients d’entendre sur la question, sous ses différents aspects, de l’articu lation entre l’action publique de l’Autorité, répressive, et l’action privée réparatrice, consécutive notamment en matière d’action de groupe. Vous disposerez, Monsieur le Président, d’un avantage de temps de parole de 30 minutes, qui reflète les nombreuses questions et les fortes attentes déjà exprimées tout au long de la matinée. Nous entendrons ensuite Nicolas Molfessis, professeur de droit privé à l’Université Paris Il, secrétaire général du Club des juristes, que nous attendons avec grand intérêt dans son approche civiliste de la question de la réparation des dommages concurren tiels. Nous conclurons avec Martial Houlle, directeur des affaires juridiques, réglementaires et institutionnelles du groupe Direct Energie, fournisseur d’électricité et de gaz naturel. Nous le remer cions d’autant plus de sa présence ce matin qu’il a la charge de représenter les préoccupations des entreprises devant l’action de groupe. Il nous proposera une série de réflexions sur l’équilibre du procès, la médiation, les enjeux non seulement indemnitaires mais également d’image, et l’assurance des risques. Monsieur le Président, avant de vous céder la parole, je dois vous dire que nous sommes très impatients d’avoir votre éclairage sur deux questions soulevées par ‘objectif annoncé d’alléger la charge de la preuve du dommage concurrentiel pour les actions de groupe, qui interrogent sur l’autonomie du débat judiciaire et l’équilibre du procès. La première question concerne la portée de la décision d’infraction, et en particulier de ses imputations en matière d’effets anticoncurrentiels et de dommage à l’économie, et de ses éventuels éléments quantitatifs et contrefactuels à ce titre, dans le régime de la preuve de la causalité et du quantum du dommage allégué devant le juge en raison de cette infraction. La seconde question concerne le rôle et l’intervention de l’Auto rité dans e déroulement même du procès de l’action de groupe. MLEX rapporte à cet égard que, dans une conférence donnée à Luxembourg en juin dernier, vous auriez indiqué que l’Autorité était préparée et prête à aider le juge dans la détermination du montant des préjudices. Bruno LASSERRE, Président de l’Autorité de la concurrence Merci beaucoup. Je souhaiterais tout d’abord remercier I’APDC de l’invitation qui m’a été transmise et à laquelle je réponds avec beaucoup de plaisir, c’est un grand plaisir d’être avec vous ce ma tin, sur ce sujet intéressant, stimulant, et riche de questions qui ne sont pas toutes, heureusement, résolues. Je voudrais revenir ce matin sur la vision de ‘Autorité en ce qui concerne l’articulation entre l’action publique et l’action privée et sur le bilan que nous pouvons à ce jour en faire notamment au regard des deux avancées que représentent respectivement l’adoption de la loi Hamon sur l’action de groupe, et la directive sur les actions en réparation. S’agissant de ce dernier texte, il ap paraît qu’il fait aujourd’hui l’objet d’un consensus politique et les dernières discussions au sein du Conseil de l’Union européenne font ressortir qu’il est suffisamment consensuel pour justifier une adoption prochaine en tout cas il ne semble pas qu’il y ait au sein de l’UE une minorité de blocage susceptible de s’opposer à l’adoption de cette directive s’il est possible que l’Allemagne ou la Pologne par exemple votent contre l’adoption de la directives cela ne suffira pas en tout état de cause à faire obstacle à son adoption. L’Autorité avait d’ailleurs été conduite à prendre parti t Numéro 42 Janvier - Mars 2015 RLC 183